NATURE, PANORAMA CRITIQUE DE L’ÉTHIQUE

ASNA ELKHALOUFI1 ABDELMAJID GUTITI2

1 Doctorante chercheuse en Dynamique spatiale Aménagement et Développement territorial, Université Cadi Ayyad, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Marrakech, Maroc

Hassnaeelkhalloufi1@gmail.com

2 Doctorant chercheur en Dynamique spatiale Aménagement et Développement territorial, Université Cadi Ayyad, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Marrakech, LERMA, Maroc

gutitiabdelmajid@gmail.com

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HNSJ, 2022, 3(10); https://doi.org/10.53796/hnsj31021

Publié le 01/10/2022 Accepté le 19/09/2022

Résumé 

Depuis son émergence en tant que discipline académique dans les années 1970, la protection des systèmes environnementaux de notre planète, tant locaux que globaux, est devenue un objectif majeur. La succession de crises écologiques que le monde entier connait, tire la sonnette d’alarme sur la nécessité de repenser notre rapport au monde naturel, et suscite un vif débat sur ce qu’on appelle : l’« éthique environnementale ». De différentes tendances philosophiques en lien avec la Nature ont émergé : le biocentrisme de Paul Taylor, l’écocentrisme d’Aldo Léopold, le Pragmatisme de Dewey, etc. Le présent article se propose de livrer un panorama des différentes postures morales au sujet de la valeur morale de la Nature élaborées au fil de ces décennies. Il offre certes un aperçu général des visions éthiques sur la nature, mais toutefois clairement plus controversés dans le but d’analyser l’ampleur et l’évolution de la question, et de mettre en lumière de nouvelles pistes de réflexions qui doivent être exploitées sur cette nouvelle éthique, afin de répondre aux enjeux environnementaux auxquels est confrontée l’humanité.

Mots Clés: Valeur intrinsèque, Anthropocentrisme, Biocentrisme, Ecocentrisme, Pragmatisme

عنوان البحث

الطبيعة، بانوراما نقدية للأخلاق

حسناء الخلوفي1 عبد المجيد اكطيطي1

1 طالبة باحثة بسلك الدكتوراه، تكوين الدينامية المجالية الإعداد والتنمية الترابية، جامعة القاضي عياض، كلية الآداب والعلوم الإنسانية بمراكش، المغرب Hassnaeelkhalloufi1@gmail.com

2 طالب باحث بسلك الدكتوراه، تكوين الدينامية المجالية الإعداد والتنمية الترابية، جامعة القاضي عياض، كلية الآداب والعلوم الإنسانية بمراكش، مختبر الدراسات حول الموارد الحركية والجاذبية، المغرب gutitiabdelmajid@gmail.com

HNSJ, 2022, 3(10); https://doi.org/10.53796/hnsj31021

تاريخ النشر: 01/10/2022م تاريخ القبول: 19/09/2022م

المستخلص

منذ ظهورها كحقل معرفي في سبعينيات القرن الماضي، أصبحت حماية الأنظمة البيئية لكوكبنا، سواء المحلية أو العالمية، هدفًا رئيسيًا. إن تعاقب الأزمات البيئية التي يمر بها العالم بأسره يدق جرس الإنذار بشأن الحاجة إلى إعادة التفكير في علاقتنا بالعالم الطبيعي، كما يثير نقاشا حيويًا حول ما يسمى بـ “الأخلاق البيئية”. في الواقع لقد برزت اتجاهات فلسفية مختلفة تتعلق بالطبيعة من قبيل: المركزية الحيوية لبول تايلور، ومركزية البيئة لألدو ليوبولد، وبراغماتية ديوي، وغيرها. تعرض هذه المقالة بانوراما للمواقف المختلفة حول القيمة الأخلاقية للطبيعة التي تطورت خلال هذه العقود. إنها تقدم لمحة عن الرؤى الأخلاقية في علاقاتها بالطبيعة، ولكن بشكل مثير للجدل بغية تحليل معمق للموضوع وتطوره، كما أنها تسلط الضوء على سبل جديدة للتفكير والتي يجب توظيفها في هذه الأخلاق الجديدة، من أجل مجابهة التحديات البيئية التي أضحت تواجه الإنسانية.

الكلمات المفتاحية: القيمة الجوهرية، المركزية البشرية، المركزية الحيوية، المركزية البيئية، البراغماتية

Introduction

L’être humain est une partie intégrante des écosystèmes et dépend très étroitement des services d’origine écosystémiques. Durant les dernières décennies, il a été constaté que les activités humaines entraînent des effets désastreux sur ces écosystèmes et exploitent le potentiel naturel de manière plus inquiétante que sur aucune autre période de l’histoire de l’humanité, en grande partie pour satisfaire la demande croissante de l’Homme (MEA, 2005). Cette transformation au niveau de la planète est au cœur des enjeux majeurs de notre temps. Elle menace certainement l’équilibre fragile des écosystèmes, voire la survie des peuples du monde entier (MEA, 2005). La gravité de cette problématique était la source de la profonde inquiétude de la communauté scientifique à l’échelle internationale.

En effet, les pressions anthropiques croissantes, qui influent sur les écosystèmes, sont justifiées non seulement par des raisons impératives de bien-être humain, mais également par des représentations diverses sur les questions éthiques et la valeur morale de la nature. « .a une valeur intrinsèque tout ce qui doit être traité comme une « fin en soi », c’est-à-dire l’Homme. Tout le reste a une valeur instrumentale et considéré comme un moyen à la libre disposition de l’Homme (Emmanuel Kant, 1985). Ce fondement était en effet à l’origine d’un bouleversement radical, en instaurant des thèses antidualistes, qui ouvrent de nouvelles perspectives dans le débat sur la question éthique, et la manière de penser le rapport de l’être humain avec son environnement biotique et abiotique.

Au début des années 70, Richard Routley, un philosophe australien, va marquer un tournant décisif dans le champ éthique, en se demandant dans une communication présentée à une conférence internationale à Sofia, en Bulgarie, si nous avions besoin d’une nouvelle éthique environnementale (Routley, 1973). Un vif débat a été lancé dans la foulée de cette déclaration : l’année 1970 était un véritable départ de plusieurs tendances philosophiques à venir. Des penseurs ont été influencés, des revues s’y sont consacrées, de nouvelles approches ont été planifiées et des questions épineuses ont été soulevées : N’est-il pas pertinent aujourd’hui de revisiter notre rapport à la nature ? Une nouvelle éthique environnementale n’apporte- t-elle pas véritablement une solution concrète qui permettrait de régler les problèmes environnementaux ? La crise écologique que nous vivons actuellement, n’est-elle pas le résultat d’une vision anthropocentrique du monde longtemps centralisée sur l’Homme ? Quelles attitudes morales ont été adoptées à l’égard de la nature ? Quelles valeurs privilégiées aujourd’hui ? Sur quels principes peuvent-elles se baser pour préserver le capital naturel pour l’humanité future ?

Les questionnements sont multiples et impliquent des aspects différents, mais ils sont clairement présentés autour d’une dimension principale ; le rapport Homme-Nature.

  1. Méthodologie

L’élaboration de cette revue de littérature passe, en premier lieu, par un travail de recherche approfondi dans la littérature francophone et anglophone, autour de la question de l’éthique environnementale. Ce qui nous a permis de revisiter d’abord certaines théories qui abordent la question éthique et son évolution au fil du temps, et qui contribuent également à l’éveil d’un meilleur esprit environnemental. Ensuite, les mots-clés : Valeur intrinsèque / Anthropocentrisme / Biocentrisme / Ecocentrisme / Pragmatisme, ont servi à sélectionner les publications francophones, et trier les travaux de recherche présentés dans cette revue. Nous avons appliqué par la suite la même démarche pour sélectionner les publications en anglais en utilisant les mots-clés suivants : Intrinsic Value / Anthropocentrism / Biocentrism / Ecocentrism / Pragmatism. Pour la sélection des publications sont pris en compte ; l’intérêt du sujet, la qualité scientifique et la tenue stylistique, mais aussi être abordées dans un domaine clairement lié au thème d’étude. En effet, les articles ont été́ filtrés selon une méthode qui comporte deux étapes ; la recherche électronique et la recherche manuelle. Nous avons eu recours aux outils électroniques (moteurs de recherche sur internet tel que Cairn et Google Scholar). Puis, une analyse bibliographique approfondie a été exécutée pour mieux comprendre la diversité des valeurs et conceptions sur lesquels repose notre question. Dans le présent article, nous apporterons une contribution critique des grands débats conceptuels relatifs à la question éthique et les diverses relations de l’humanité avec son milieu naturel, et ce dans le but de concilier au mieux l’impératif écologique et l’humain. Un large panorama des positions éthiques et morales sera d’abord présenté, synthétisé et discuté pour éclairer les réflexions et débats qui se sont engagés quant à l’éthique environnementale et d’en tirer par la suite des conclusions pour l’avenir. Bien que cette recherche ne puisse certainement pas prétendre à l’exhaustivité, elle donnerait néanmoins un aperçu significatif aspirant à influencer les décisions actuelles et stratégiques en matière d’environnement.

  1. L’anthropocentrisme
    1. L’Homme est-il la mesure de Tout ?

L’éthique anthropocentrique de l’environnement est une doctrine philosophique qui situe clairement l’humain au centre de l’Univers, elle appréhende la réalité à travers la seule perspective humaine (Catherine Larrière, 2010). Cette « sacralisation de la vie humaine » était déjà̀ présente dans différentes cultures et religions à travers le monde. Socrate par exemple et les sophistes pendant l’Antiquité grecque avaient fondé leur doctrine sur le caractère sacré de l’Homme et revendiquaient le statut moral de l’Homme et la liberté de penser à sa guise (Platon, Théétète, 152a). L’accent se déplace particulièrement sur l’Homme. Socrate a dit « Connais-toi toi », tout en montrant la nécessité qui rend impérative une recherche exigeante de subjectivité, ç’est-à-dire une supériorité de la connaissance de l’Homme lui-même que la connaissance de la nature.

Protagoras par ailleurs, l’un des grands sophistes militants de la recherche d’un relativisme subjectiviste radical, soutient : « L’Homme est la mesure de toute chose » (Platon, 152a). Cette formule résume bien sa philosophie et montre que selon le philosophe, la vérité est étroitement nouée à celui qui la conçoit, c’est-à-dire l’Homme, devenant ainsi le maître, le centre d’intérêt, il est la référence de toute chose. Cette doctrine de Protagoras, centrée sur l’individu, était en outre propice à la philosophie d’Aristote, le père immortel de la philosophie. Il maintient et renforce la vision anthropocentrique de l’univers, à travers la théorie de l’intelligence qui ait pu faire supériorité sur le sujet pendant très longtemps (Stanislas Cantin, 1948). L’humain dans son rapport à la Nature, nous est toujours présenté comme étant la fin ultime, considérant le non-humain comme un décor, un moyen à disposition des humains, l’ensemble étant ordonné de manière finale à l’Homme, et à l’Homme seul (Afeissa, H.S., 2007). Saint Thomas prolongera plus tard ce processus.

    1. Quels arguments pour soutenir le dualisme Homme-Nature ?

Au Moyen âge, le discours chrétien perpétuera cette vision qui situe l’Homme au sommet de la pyramide. Eric Baratay affirme dans ce contexte que la bête était toujours considérée comme un objet à utiliser pour servir les besoins quotidiens de l’Homme, centre et maître de la création (Baratay, 1998a). En effet, le récit de la création du livre de la Genèse (Gn1, 26-29) interprète clairement ce rapport de domination. Dieu ordonne la création du monde en sept jours le fut pour satisfaire l’humain, en le privilégiant d’une rationalité supérieure qui semble légitimée à avoir emprise sur la nature. Ce sujet, est le seul puissant capable de dominer la Terre. Dans cette perspective, deux paradigmes corrélatifs se manifestent : un dualisme qui pense nécessairement l’Homme extérieur par rapport à son environnement (l’espèce humaine ne fait plus partie de la nature), et un anthropocentrisme exprimé par une volonté́ de Dieu, que l’être humain domine la nature, la maîtrise, la modifie et l’exploite pour son bien-être.

De cette conception anthropocentrique découle une appréhension instrumentale de la nature, qui sera finalement adoptée par Kant aux temps modernes. Kant place nécessairement au cœur de tout sujet moral, la raison comme référence absolue de sa pensée en soulignant que les entités naturelles dont l’existence dépend, et comme elles sont des êtres dépourvus de raison, n’ont qu’une valeur instrumentale, et voilà̀ selon lui pourquoi on les nomme des choses. En revanche, les êtres raisonnables sont repérés comme des personnes, parce qu’ils sont les seuls à disposer de la raison et peuvent se comporter comme possesseurs de la Nature et comme des fins en soi (Emmanuel Kant, 1985). Le monde naturel sera donc valorisé par son utilité au règne humain, celui-ci étant le mètre-étalon des intérêts moraux, sa domination sur le monde est perçue comme un geste suprême de libération et elle est moralement justifiée parce que selon cette vision, la Nature n’a pas de spécificités morales. En d’autres termes, la Nature n’a pas une valeur propre, c’est-à-dire une valeur intrinsèque, au contraire, elle est appréciée uniquement de manière instrumentale, comme « une ressource » à l’usage exclusif de l’Homme. Hobbes, a quant à lui, développé l’anthropologie humaine à partir du concept du désir.

    1. Désir et valeur, quel rapport ?

Dans Le chapitre VI du Léviathan, le philosophe Hobbes affirme qu’il y a un lien clair entre les mouvements volontaires humains et le désir que suscite un objet (Foisneau, L. 2001). Pour lui, il existe une dichotomie entre le sentiment du désir et l’intérêt tiré par l’objet. La valeur n’est pas dans le monde, les objets n’ont pas une valeur normative en eux-mêmes mais c’est la faculté de désirer du sujet qui leur attribue une valeur normative. Autrement dit : les objets ont une valeur que parce que je les désire ; quand ce n’est plus le cas, ils perdent toute valeur. C’est donc cet anthropocentrisme du subjectivisme créateur, qui vide l’univers de toutes ses valeurs. Cette posture philosophique considère que toute réalité connaissable existe dans le sujet même, et la connaissance du monde environnant dépend uniquement de la conscience subjective. Des controverses contemporaines, à l’encontre de ce dualisme Homme-Nature ont été vigoureuses. Questionner la pertinence de ce dualisme et élaborer une nouvelle éthique environnementale telle que le biocentrisme, l’écocentrisme et le pragmatisme que nous examinerons dans les axes qui suivent, étaient des questions cruciales chez un bon nombre d’éthiciens.

  1. Le biocentrisme
    1. Les racines de l’éthique biocentrique

Le biocentrisme, comme son nom l’indique, est une philosophie anti-anthropocentrique, propose de repenser la dignité morale accordée à l’environnement, et d’instaurer un bon équilibre entre l’Homme et son milieu naturel. Cette croyance philosophique récente, qui a émergé principalement en Angleterre, en Amérique du Nord, et en Australie, reconnait à l’ensemble des organismes vivants une valeur intrinsèque et une singularité insubstituable (Catherine Larrière, 1997). En définitive, Le biocentrisme en rompant avec la position Kantienne du droit, se détache du dualisme Homme/nature, et soutient que la Nature a une valeur et non pas un prix, comme Kant l’a souligné pour les êtres humains.

L’éthique biocentrique trouve ses racines dans un certain nombre de religions, traditions et personnages historiques. Dans l’Islam, l’éthique biocentrique découle de la croyance que toutes les créatures dépendent et appartiennent à Dieu, et que l’être humain est une partie d’un Tout. Il est mandaté à la fois gestionnaire et gardien, d’une part pour gérer les ressources vitales mis en dépôt entre ses mains, et pour les faire fructifier pour son bien-être et pour celui des autres créatures d’autre part, tout en évitant, par une exploitation irrationnelle, de dégrader l’environnement et de nuire aux intérêts des générations suivantes. Le Coran a clairement adopté une attitude qui développe des rapports positifs avec la nature, fondée sur la responsabilité, la protection, le respect, et l’interdiction de toute forme de détérioration ou de destruction. Il avance l’idée selon laquelle Dieu seul est l’unique seigneur de l’univers, l’Homme n’est que son successeur, et il fait partie de la nature, il en jouit, mais n’en dispose pas. On a demandé une fois à Muhammad, prière et salut de Dieu sur lui, s’il y aurait une récompense pour ceux qui font preuve de charité envers la nature et les animaux, ce à quoi il a répondu, « Tout musulman qui plante un arbre ou cultive une terre aura accompli un acte de charité si un Homme, un oiseau ou un animal s’en nourrit.” (Hadit authentique rapporté par Muslim, d’après Jabir ibn ‘Abd-Allah).

Cette quête perpétuelle d’harmonie entre l’Homme et son univers est soutenue par la sagesse bouddhiste aussi, c’est une religion qui développe une approche intrinsèquement écologique, dont le premier des cinq préceptes de base est d’éviter de tuer ou de nuire à tout organisme vivant (Palmer, Finlay, Martin, Victoria, s.d.). Le saint chrétien François d’Assise a considéré tout être vivant comme un frère et il a prêché l’amour de toutes les créatures de la Nature comme finalité majeure (Erik Sablé, 1986). Il a fondé une théologie biocentrique qui incluait explicitement les animaux et les plantes.

Plus largement, Ralph Waldo Emerson (1803-1882), poète anglais du romantisme et figure marquante de la pensée transcendantaliste du début du XIXème siècle, invente une nouvelle doctrine non traditionnelle de la nature. Il articule le divin et la Nature et considère celle-ci non seulement comme dotée d’une âme, mais en outre, comme l’expression spirituelle d’une entité divine, tout en prônant une fusion du Soi et de la Nature et créant ainsi une harmonie supérieure.

Le philosophe Thoreau (1817-1862), une des figures majeures de « nature writer » en Amérique. S’installe, quant à lui, sur un terrain appartenant à son ami Emerson. Il s’intéresse à apprivoiser les animaux, et à reconnecter et communiquer avec la Nature grâce à une forme de dialogue méditatif (Henry David Thoreau, 2007). La philosophie de Wilderness influencera largement la pensée universaliste et reflètera les perspectives de la préservation des espaces vierges, à travers la formulation de l’idée d’espaces protégés, et la création des Parcs Nationaux (Samuel Depraz and Stéphane Héritier, 2012). Avec l’émergence de l’écologie scientifique, Charle Darwin pour sa part, publie son célèbre livre sur l’origine des espèces en 1859. Il soutenait sa révolutionnaire théorie de l’évolution qui allait rejeter la vision anthropocentrée du monde, et aura largement influencé le champ de l’éthique (James Rachels, 1990).

Au XXe siècle, John Muir par ailleurs, pionnier en matière d’écologie, a quant à lui adhéré à la version transcendantaliste d’Emerson et de Thoreau. En effet, il a promu de nombreuses initiatives de protection de la Nature et il s’est engagé à défendre la valeur intrinsèque des zones naturelles, en particulier des zones de Nature sauvage, préfigurant ainsi une nouvelle spiritualité de l’écologie profonde qui valorise la valeur inhérente de toutes les formes de vie. (John Muir, 1916). Selon John Muir et ses successeurs, il est indispensable de veiller à la préservation, au respect et à la sauvegarde des sites naturels vierges et sauvages. Ils affirment clairement la nécessité de préserver les entités holistiques telles que les écosystèmes, les sanctuaires vierges et les espèces de toute influence anthropique.

    1. Le respect de la « vie » qui veut vivre

Albert Schweitzer était un autre penseur de l’éthique biocentrique moderne du début du XXe siècle qui a déclaré que le facteur de la vie elle-même est décisif dans la détermination de la valeur morale (Hans Walter Baehr, 1976). Elle constitue selon lui, un phénomène exceptionnel impénétrable et absolu, accessible seulement par l’expérience vécue. Schweitzer a introduit une philosophie de « révérence pour la vie » qui intègre non seulement la dimension humaine mais également tous les autres organismes naturels (animaux plantes et environnement). Schweitzer exprime dans son ouvrage intitulé : la paix par le respect de la vie, une grande sensibilité à l’égard de la valeur de toute forme de vie naturelle. Il pose comme principe fondamental le paradigme suivant ; tout être vivant, de par son évolution incessante, exprime un vouloir-vivre invisible, dans sa guerre permanente pour la survie. En s’inspirant notamment de la philosophie de René Descartes qui opère selon l’axiome : « Je pense, donc je suis », Schweitzer formule ainsi : « Je suis vie qui veut vivre, parmi la vie, qui veut vivre. » (Bollnow Otto Friedrich, Kaempf Bernard, 1976). Cet aphorisme du « vouloir vivre » est donc pour Schweitzer, le principe ontologique fondamental sur lequel repose son éthique de respect de la nature.

En 1973, Richard Sylvain Routley, un philosophe australien, va marquer une étape importante en faveur de l’éthique environnementale. Dans un article considéré comme fondateur du mouvement biocentrique, Routley critique l’idée de la valeur instrumentale de la nature à travers une expérience de pensée dite « Mr Last Man », le dernier Homme à vivre sur Terre après avoir échappé à une catastrophe planétaire, (Routley, R., 1973). Ce dernier Homme se donne le droit, avant de mourir, à posséder la Terre et anéantir tout ce qui l’entoure : espèces végétales, animales, paysages, etc. La question qui se pose est : Comment juger son comportement ? Si l’on s’en tient à l’éthique traditionnelle, où seul l’Homme est titulaire de droits et de statut moral, on peut dire qu’il ne fait rien de mal, puisqu’il ne lèse personne. Pourtant nous avons l’intuition que ce que fait « Mr Last Man » est moralement condamnable (Routley, 1973). Cet article a suscité de nombreux débats quant à l’élaboration d’une nouvelle éthique fondée sur une conception de la valeur intrinsèque de la nature, considérant celle-ci comme un tout, comme une fin en soi.

L’éthique biocentrique est associé aussi aux travaux de Paul Warren Taylor, qui a longtemps défendu la conservation de la Nature et la valeur intrinsèque de tout individu vivant. En effet, dans son ouvrage devenu de référence dans le domaine écologique intitulé Respect for Nature, A Theory of Environmental Ethics 1981 (Curry, Patrick 2006), Taylor critique l’anthropocentrisme et considère tout organisme vivant comme un « centre téléologique » de vie irremplaçable qui n’a pas d’équivalent (Paul Taylor, 1981). Selon lui toutes les créatures vivantes sont égalitaires et dignes de respect. C’est ce qu’on nomme « l’égalitarisme biotique ». Tout organisme vivant a la capacité de protéger ses propres intérêts de reproduction et de conservation, et donc par conséquent, son droit à la vie. L’éthique biocentrique prévoit ainsi de façon indépendante, une multitude de vouloir-vivre individuels à chaque forme de vie. Contrairement aux positions anthropocentriques traditionnelles, selon lesquelles seuls les êtres rationnels, et conscients, c’est-à- dire les êtres humains jouissent de la considération morale.

Cependant, la question de la valeur intrinsèque a suscité des controverses considérables. Des militants pour la conservation de la nature, s’interrogeaient sur la façon de coordonner une infinité de valeurs intrinsèques dans la Nature méritant toute de manière indépendante, une considération morale égale. Le biocentrisme, comme mentionné précédemment, ne reconnaît de valeur qu’à des entités individuelles, il ne répond donc pas aux questions politiques de protection de l’environnement, car celles-ci consistent non seulement à sauvegarder les individus, mais également à prendre en considération les systèmes complexes où s’interagissent les vivants et non vivants. Cela justifie clairement le besoin d’une nouvelle éthique qui adoptera une perspective holiste, et attribue une valeur au collectif, à l’ensemble que forment éléments biotiques et abiotiques dans leur interaction, au plan individuel ou collectif entre eux et avec leur milieu.

  1. L’écocentrisme
    1. Réflexion sur une nouvelle approche holistique

Le forestier américain Aldo Leopold était le premier à conceptualiser une éthique écocentrique. C’est dans son livre publié en 1949, intitulé Almanach d’un comté des sables, que Leopold définissait en une formule sa vision : « Une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver l’intégrité́, la stabilité́ et la beauté́ de la communauté́ biotique. Elle est injuste lorsqu’elle tend à l’inverse » (Leopold, 1949). Il dépasse la dichotomie Homme-Nature et rejette l’éthique anthropocentrique qui a dominé la pensée philosophique occidentale. Le caractère trop individualiste qui caractérise le biocentrisme ne s’harmonise plus avec sa nouvelle éthique, visant à conférer des intérêts moraux non seulement aux individus naturels, mais également au système planétaire dans son ensemble. Cette éthique est ainsi définie d’écocentrisme, où la terre forme une totalité englobante appelée « communauté biotique », et l’espèce humaine fait partie intégrante de cette communauté et vit en interdépendance avec son environnement. (Catherine Larrère, 2010). Contrairement à l’individualisme de l’éthique biocentrique, l’écocentrisme développé par Leopold est holiste.

De plus, Aldo Leopold affirme dans son fameux essaie de l’« éthique de la terre », que l’exploitation intensive et irrationnelle des ressources de la terre dépend étroitement de la façon dont on perçoit la nature, en considérant celle-ci comme un bien qui nous appartient (Leopold, 1995). Léopold considère l’être humain comme un élément vivant qui participe d’une communauté biotique, au même titre que toute autre espèce naturelle, l’humain et la Nature sont donc indissociables. Autrement dit, l’éthique léopoldienne considère que tous les organismes appartenant à la communauté biotique vivent ensemble, dans une coexistence moins conflictuelle, en interdépendance et en harmonie ; aucun n’a le droit de détruire ou dégrader la vie des autres, nous avons tous une valeur morale et nous sommes inextricablement liés à une communauté biotique vaste et dynamique.

Par ailleurs, Baird Callicott, figure pionnier de la philosophie de l’écologie qui a développé la pensée leopoldienne, intègre, pour sa part, le raisonnement darwinien dans le domaine écologique et affirme que l’histoire des rapports complexes entre écologie et évolution, est indispensable pour comprendre que nous faisons partie intégrante d’une communauté́ où interagissent l’ensemble des êtres vivants, une communauté telle que chacun de ses membres sera appelé à respecter la compétition ininterrompue des systèmes naturels, et à développer des rapports interdépendants de coopération active et de confiance pour maintenir la dynamique à l’œuvre au sein de cet ensemble. (Callicott J.B, 2011). Il précise qu’il existe une sorte de coévolution entre les écosystèmes et l’éthique, celle-ci s’étend de plus en plus et elle s’opère corrélativement à l’extension du clan sauvage à la communauté biotique (Callicott J.B, 2011).

Grâce à la sélection naturelle, l’être humain possède la capacité de valoriser intrinsèquement des groupes, des ensembles, des communautés. Un système de règles morales apparait, assurant des normes conformes aux principes de préservation de l’environnement. La communauté́ biotique, suivant cette logique, est donc indéniablement digne d’être protégée, et d’être titulaire d’une valeur intrinsèque comme la communauté́ des êtres humains. Par ailleurs, Le philosophe et l’écologiste norvégien Arne Naess, cette figure majeure de la pensée écologique et père fondateur du concept de l’« écologie profonde » rejette la pensée anthropocentrique et affirme dans son œuvre « Écologie, communauté́ et style de vie », que l’être humain n’est pas le seul sujet moral, et précise que le curseur de la valeur des individus concourants à l’environnement est déplacé au profit d’une perspective plus globale (Arne Naess, 1984).

    1. Y a-t-il des limites à l’éthique écocentrique ?

Comme le modèle biocentrique, le modèle écocentriste, même avec sa vision particulière du monde naturel, n’échappe pas à toute critique, et devient lui aussi vulnérable aux accusations, estimant que ce modèle revêt une logique dangereusement « totalitaire » voire « fasciste ». L’écocentrisme n’exclut d’ailleurs pas la possibilité d’imputer quelqu’un au nom de Tout, lorsque l’équilibre du système dans son entier l’exige. Autour de cette conception, se forme la critique la plus virulente de Luc Ferry, parue dans son livre novateur intitulé : Le Nouvel Ordre écologique, contre l’écologie profonde, qu’il l’accuse d’être chargée d’une attaque dangereuse menée contre l’humanité, et d’une idéologie totalitaire, fondamentaliste et intégriste, visant à attribuer des droits égaux à la Nature ce qui va être susceptible de créer d’éventuels concurrents autour des droits de l’Homme. Ferry est persuadé que la deep ecology pourrait porter une étiquette fasciste (L. Ferry, 1992). Une telle critique a trouvé un écho auprès de la communauté scientifique, et des questions épineuses ont été soulevées : la communauté biotique n’aurait-elle pas pour conséquence d’imposer une concurrence d’intérêts entre les individus interdépendants ? Une telle position « holiste » n’implique-t-elle pas que l’on puisse sacrifier les individus en faveur de la communauté ?

    1. Repenser le vivre-ensemble au cœur de la communauté biotique

Le philosophe Arne Naess, pouvant nous être pertinent dans ce débat. Il soutient que le monde se déploie comme une unité cohérente, comme une totalité englobante. En outre, selon lui, tous les organismes vivants sur Terre sont pensés dans une relation d’étroite interdépendance, de réciprocité et de complémentarité avec leur environnement. L’humain ne peut être perçu et traité comme seule entité supérieure dotée de la subjectivité suffisante pour être titulaire de droits (Arne Naess, 1984). Autrement dit, l’Homme ne constitue qu’un élément d’un ensemble plus vaste d’une infinité de rapports mutuelles dans l’ample sein de l’univers. Son bien-être dépend étroitement de la satisfaction profonde qu’il retire d’une proximité harmonieuse avec son environnement. L’ignorance de cette coexistence au sein d’un réseau complexe d’interrelations, et la perpétuation du schéma maître-esclave, contribue sans aucun doute à l’aliénation des humains eux-mêmes. Toutes les réalités selon Naess, se définissent de manières relationnelles, tous les êtres sont égaux à vivre et à s’épanouir dans un vaste réseau de relations intrinsèques, et la survie d’un être n’exige pas forcément la destruction d’un autre. Naess prend clairement ses distances avec la conception d’inspiration kantienne, qui, selon lui, se trompe en attribuant à l’espèce humaine le droit de possession, de maîtrise et de maltraitance et en faisant de l’humain le motif principal de la création, le maître et possesseur de l’univers, la seule fin suprême.

  1. Le pragmatisme
    1. Pour une approche pragmatique de l’éthique environnementale

Une plus grande prise de conscience s’est opérée à l’échelle universelle, jusqu’à un possible : le pragmatisme, dans le but de remettre l’espèce humaine en harmonie avec son environnement naturel. Pour mieux saisir l’approche pragmatique et son rapport avec l’éthique environnementale, il serait de prime d’abord approprié d’explorer les fondements dont dépendent ce courant philosophique. Il importe donc de souligner qu’il s’agit bien là d’une éthique qui s’inspire des grandes figures du pragmatisme au XIXe siècle, à savoir Charles Sanders Peirce, William James, John Dewey et George Herbert Mead (Joelle ZASK, 2013). Bien que leurs principes moraux soient avant tout motivés par un intérêt pour la manière de pensée, plutôt que faire explicitement référence aux défis que représente la crise environnementale, il ne faut certes pas nier que l’apport des approches pragmatistes aux questions environnementales est très important.

Une réflexion d’inspiration pragmatiste a été approfondie sur le thème de l’éthique. Cette nouvelle vision ne reconnait pas les aspects métaphysiques de la valeur intrinsèque ; il est reproché à celle-ci son caractère moniste, unique et solitaire permettant de conduire à des positions sectaires et de freiner toute mesure rationnelle de progrès environnemental, au contraire, la valeur instrumentale de la Nature, ne menace pas la stabilité des écosystèmes et ne conduit pas forcément à la destruction (Catherine Larrère, 2010). Les sociétés humaines retirent de tout écosystème une infinité des biens (matières premières, produits agricoles…) qu’elles consomment, mais la Nature nous rend aussi d’énormes services écosystémiques : services de soutien, d’approvisionnement, de régulation et les services socio-culturels (MEA, 2005), qui sont nécessaires et vitaux à la production de ces biens et qu’il est dans notre intérêt de bénéficier de ses services, durablement, et de maintenir en activité ces écosystèmes, pour notre bien-être et pour celui des générations futures.

    1. Retour à une approche « anthropocentrée » de la nature ?

Bryan G. Norton philosophe américain, et éthicien de l’environnement, développe une nouvelle approche pragmatique assez cohérente, se distinguant notamment par son aspect pratique, durable et réaliste. En effet, son article intitulé « L’éthique environnementale et l’anthropocentrisme faible » publié en 1984, témoigne de sa volonté de défendre une éthique concrète, basée sur ce qu’il nomme « l’anthropocentrisme faible ». Selon Norton, pour être moral à l’égard de la nature, il n’est pas nécessaire de lui attribuer une valeur intrinsèque. Le rejet trop rapide de cet anthropocentrisme comme inutile accentue de plus en plus le schéma dualiste dans lequel valeur intrinsèque et valeur instrumentale sont en totale opposition, ce qui n’apporte aucune plus-value à la protection concrète de la Nature. De plus, l’objectif ultime de l’anthropocentrisme faible est de guider chaque action humaine et intervention sur l’environnement, tout en fournissant une base de principes à l’aune desquels nous puissions combattre tout acte nuisible pour l’environnement. De plus en multipliant les perspectives, regards et points de vue, l’anthropocentrisme faible multiplie également les chances d’établir un consensus entre les positions encore divergentes, un compromis assez large du plus grand nombre sur ce qui doit être entrepris en matière environnementale (Bryan G. Norton, 1984).

En effet, situer toute action humaine dans un contexte pragmatique, suffise à prendre au sérieux les enjeux écologiques tout aussi intensément qu’en valorisant l’environnement pour lui-même : qu’on motive la protection d’un espace vert en vertu soit de sa valorisation propre, soit se référant aux services écosystémiques rendus par ce patrimoine à la société humaine, cela conduit dans les deux cas à protéger l’environnement et à maintenir un équilibre entre les populations humaines et les écosystèmes naturels. Or, le caractère particulièrement stérile et superflu des débats sur les questions de la valeur de la Nature induit une posture complexe et déconnectée du réel, puisqu’au final, qu’une légitimité anthropocentrique ou biocentrique supporte nos conduites et nos décisions ne change rien, ou très peu, aux contenus des politiques et des attitudes à adopter.

    1. L’avenir de la planète se joue maintenant

La théorie de la gestion durable des écosystèmes élaborée par Norton vient donc appuyer ces approches pragmatistes et pluralistes, dans une nouvelle réflexion éthique, basée sur la question de la justice intergénérationnelle, qui, selon lui, constitue une condition de base pour pouvoir préserver l’équilibre du capital naturel pour les générations futures. Une difficulté qui demeure cependant, est celle relative à l’horizon temporel, car l’aspect temps implique des incertitudes quant aux crises environnementales ou épidémiologiques multiples et complexes, et des menaces qui pèsent sur la Terre et la survie de l’espèce humaine. Comment peut-on fonder aujourd’hui des actions individuelles et collectives pour arbitrer les risques et les catastrophes qui auront des répercussions dans un siècle ? C’est dans cette recherche du juste équilibre entre une bonne profitabilité des ressources naturelles à court terme et un positionnement optimal que s’inscrit le principe de responsabilité issu des réflexions du philosophe Hans Jonas en 1979.

En effet, l’humanité est en péril et elle n’a pas droit au suicide. L’ampleur des crises planétaires exige une gestion durable, et représente un motif sérieux de préoccupation, valable à l’émergence d’un principe de responsabilité élaboré par Hans Jonas. Ce principe a jeté les bases d’une responsabilité collective en faveur de l’humanité future. Il représente pour Jonas, une nouvelle norme sociale efficace, permettant de garantir un développement durable et équitable du potentiel naturel. En effet, le concept de responsabilité s’est avéré particulièrement pertinent pour construire une nouvelle éthique d’avenir, une éthique de responsabilité ouverte sur la biosphère et englobante (Jonas, Hans, 1979). C’est une nouvelle vision à vocation « anthropo-biocentrique » qui vise à protéger la vie de toutes les entités naturelles, dans son infinie variété, dans le but de préserver cet environnement vital pour l’humanité présente et future (Sylvie Ferrari, 2010).

D’ailleurs, Jonas attribue au principe de responsabilité, un impératif relatif au scénario de la pire éventualité et à la peur du plus regrettable. La menace ici peut jouer le rôle du catalyseur qui permette à l’humanité d’obtenir dans le futur une panoplie d’opportunité. Assurer une perpétuité de l’humanité ne peut plus se concrétiser seulement par le respect et la reconnaissance dans un horizon de réciprocité́ et d’immédiateté, l’ambition est plus grande, il nous faut maintenant nous consacrer à des développements qui seront plus long, à réaliser une transition vers un mode d’équité intra et intergénérationnelle plus durable et harmonieux. Certes, respecter l’ensemble des vivants est un devoir moral qui s’impose à nous tous ; mais, désormais, Il est nécessaire de penser aussi, notre responsabilité individuelle et collective à l’égard des droits des générations à venir (E. Gaillard, 2011). Ce droit progresse par petits pas, de manière utilitariste et anthropocentrique pour de nouveaux horizons temporels, et concernera même tout être humain qui n’est pas encore né vivant et viable, et cela, dans le but d’assurer une préservation plus efficace et durable du potentiel naturel et manifester un engagement politique et moral envers les générations tant présentes que futures.

Conclusion

La présente note faisant la synthèse des principaux progrès et tendances enregistrés dans le domaine de l’éthique environnementale, est en réalité mitigé. En effet, quelles que soient les postures morales adoptées, La question de la pluralité des valeurs en éthique environnementale reste toujours ouverte et devrait être un des chemins prioritaires pour l’avenir : Pour les anthropocentristes, l’Homme est considéré comme l’espèce dominante dans et de la nature, il la maitrise, la modifie et l’exploite pour son bien-être, maître de tout ce qui existe. Tout Homme possède une valeur intrinsèque contrairement aux autres créatures non humaines de la Nature qui appartiennent à la catégorie d’êtres à valeur instrumentale. En revanche, chez les biocentristes, tout individu vivant est digne de respect, un être naturel auquel nous devons impérativement accorder une meilleure reconnaissance morale, une dignité et une valeur intrinsèque inestimable. Quant aux écocentristes, ce n’est pas uniquement le vivant qui a une valeur et mérite notre respect, mais plutôt la communauté biotique comprise comme une totalité qui nous incite à respecter son intégrité, sa stabilité et son équilibre au- delà de son aspect utilitaire. Enfin, dans une perspective utilitaire, les pragmatistes considèrent que l’expérience humaine est au centre, et les valeurs attribuées à la Nature se mesurent à la valeur de l’humain. En d’autres termes, pour sauver l’humanité, il faut avant tout sauver notre planète et vivre en harmonie avec elle. Tout dans la Nature a une valeur instrumentale qui n’est pas forcément synonyme de destruction.

Certes, la réflexion philosophique sur nos rapports avec la Nature est essentielle, mais je trouve qu’elle est insuffisante pour répondre aux enjeux environnementaux dont fait face l’humanité. Les différentes postures morales n’apportent que peu de changements sur les politiques de protection de la nature. Pour affronter la crise écologique aux dimensions planétaires, il est nécessaire de promouvoir une gestion durable de nos écosystèmes naturels sur le plan juridique, et non pas uniquement sur le plan moral. L’Homme se réservait de tout temps le droit de posséder la nature, grâce à sa force et son pouvoir. Cette vision du monde, qui a été largement véhiculée par les anthropocentristes, est contraire à tout principe moral. Il est temps aujourd’hui de sensibiliser à l’urgence d’adopter des attitudes durables, qui considèrent que l’Homme n’est plus le centre de l’univers, son statut supérieur, voir sacré qui lui est usuellement attribué, légitimé par certaines interprétations, est largement dépassé aujourd’hui. L’humain est en effet, issu de la nature, fait intégralement partie d’elle, et ne s’oppose pas à elle. Il ne constitue qu’un maillon d’un ensemble plus vaste, la biosphère. Nous sommes reliés aux autres organismes vivants et la terre entière, et rien dans la Nature ne pourrait justifier une position supérieure de l’Homme vis-à-vis du reste de l’univers. Rejeter catégoriquement tout chauvinisme moral est aujourd’hui nécessaire. Mobiliser une conscience juridique et politique, impliquant des actions concrètes et des mesures opérationnelles ne va certainement pas être une tâche facile, c’est un défi de taille nécessitant de remettre en question les habitudes et représentations erronées de l’environnement, et les activités humaines, qui font peser sur l’équilibre écologique, en obéissant à la seule logique marchande.

En fait, si l’on se tourne vers l’histoire, on constate que l’être humain ne se réveille que lors des catastrophes environnementales pour agir. La pandémie de COVID-19 (coronavirus) que nous vivons actuellement a tiré la sonnette d’alarme au sujet des phénomènes naturels qui ne sont que la conséquence d’une crise bien plus vaste, d’ordre écologique, comme la plupart des épidémies qui ont frappé de façon effrayante le globe pendant les dernières décennies. Il ne faudrait cependant pas voir là une simple coïncidence malheureuse, mais plutôt « une vengeance » de la Nature face aux énormes destructions environnementales causées par l’Homme, une conséquence naturelle du fait que les êtres humains se comportent comme s’ils étaient les seuls espèces à compter d’un écosystème dynamique et complexe. L’influence néfaste sur l’état écologique relève des cumuls d’actions humaines. Il paraît donc indispensable d’appliquer une approche plus globale et concrète, favorisant une gestion durable à l’égard de notre système terrestre, et de prendre soin de notre « maison commune » pour les générations actuelles et futures. Pourtant, cette réflexion, qui opère le lien entre l’éthique de la Nature et l’écologie politique, reste ouverte et des efforts encore plus soutenus sont nécessaire, qu’elle peut contribuer à offrir des solutions durables et efficace aux enjeux écologiques planétaires.

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