L’influence de l’institution sur l’intégration professionnelle des jeunes

 Said BENATALLAH1

1 Etudiant 3ème année du  cycle doctoral, Université : Mohamed V Rabat Maroc

Email :said.benatallah@gmail.com

Encadrant :Prof.Adnane Jazouli

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HNSJ, 2022, 3(7); https://doi.org/10.53796/hnsj3721

Publié le 01/07/2022 Accepté le 21/06/2022

Résumé 

L’intégration professionnelle des groupes vulnérables est un aspect important de la durabilité sociale. Les anciens bénéficiaires du système de protection de l’enfance représentent un tel groupe. L’objectif de notre recherche était d’étudier l’influence du passage par l’institution sur l’intégration et professionnelle des jeunes. Leurs expériences pendant et après leur séjour en institution sont analysées. L’échantillon de recherche était composé de 10 personnes interrogées (6 hommes et 4 femmes) dont l’âge moyen était de vingt-quatre ans au moment de l’entretien. Notre méthode de recherche était qualitative, basée sur un entretien semi-structuré. Les résultats donnent une image généralement sombre de la vie dans ces institutions. En outre, la transition des répondants de la vie en institution à la vie professionnelle était pleine de défis entre autre le sentiments d’insécurité, sentiment d’abandon, et l’absence de soutien pour la recherche d’emploi. A la lumière de nos résultats, il serait d’un grand intérêt d’étudier plus largement la problématique de l’intégration sociale chez cette frange de la population. Si l’accueil en institution doit se poursuivre, il doit s’accompagner d’efforts conséquents pour préparer ces enfants à leur transition vers une vie professionnelle.

Mots Clés: protection ; jeunes ; placement en institution ; intégration professionnelle ; Maroc

Research Article

The influence of the institution on the professional integration of young people

 Said BENATALLAH1

1 PHd Stunet, University: Mohamed V Rabat Morocco

Email:said.benatallah@gmail.com

Supervisor: Prof. Adnane Jazouli

HNSJ, 2022, 3(7); https://doi.org/10.53796/hnsj3721

Published at 01/07/2022 Accepted at 21/06/2022

Abstract

The occupational integration of vulnerable groups is an important aspect of social sustainability. Former beneficiaries of the child welfare system represent such a group. The objective of our research was to study the influence of the institutionalization on the professional integration of young people. Their experiences during and after their stay in the institution are analyzed. The research sample consisted of 10 interviewees (6 men and 4 women) whose average age was twenty-four years at the time of the interview. Our research method was qualitative, based on a semi-structured interview. The results provide a generally bleak picture of life in these institutions. In addition, the respondents’ transition from institutional life to working life was fraught with challenges including feelings of insecurity, feelings of abandonment, and lack of support for job search. In light of our results, it would be of great interest to study more broadly the problem of social integration among this population. If institutional care is to continue, it must be accompanied by substantial efforts to prepare these children for their transition to working life.

Key Words: welfare system; youth; institutionalization; institutional care; professional integration; Morocco

INTRODUCTION

Le départ des jeunes adultes qui ont passé une grande partie de leur vie dans des institutions de placements vers une vie indépendante est un défi complexe et important, en raison des causes qui les ont amenés à être placés dans ces foyer, des caractéristiques des milieux où ils ont vécu et en raison de l’absence de soutien familial lors de la transition vers la vie adulte. La transition vers l’âge adulte après avoir vécu en institution est plus compliquée que d’habitude, même pour les jeunes issus de milieux moins difficiles, entre autres parce qu’en raison de leur vie en institution, ils sont moins prêts à vivre de manière indépendante (Bouderba,2012).

Au Maroc, lorsque les jeunes pris en charge atteignent l’âge de 18 ans, ils ne sont plus considérés comme des enfants et l’État n’est plus responsable de leur prise en charge. Le système de protection de l’enfance qui était chargé de répondre à tous leurs besoins concrets et éducatifs jusqu’à cet âge ne s’occupe plus d’eux (Crowley,2022). Par conséquent, le fait qu’ils s’engagent dans une voie indépendante à la fin de la période de placement, sans responsabilité ni soutien de la part de l’institution de placement, les oblige à prendre des responsabilités dans de nombreux domaines (professionnel, sociale etc) dans un laps de temps court et accéléré (Stein, 2006), contrairement à leurs pairs, qui assument progressivement la responsabilité de la plupart des domaines de l’âge adulte (Arnett, JJ,2018). En outre, au Maroc, il n’existe pas de services officiels et très peu d’autres sources ont été conçues spécifiquement pour soutenir les personnes ayant quitté l’aide sociale.

De nombreuses études se sont penchées sur l’insertion de ces personnes à la vie socio-professionnelle et ont conclu qu’elles courent un risque élevé de rencontrer des difficultés lors de la transition en milieu socio professionnelle, et que l’expérience initiale de la transition peut avoir un impact sur leur capacité à faire face plus tard aux exigences. (Dixon, 2008).

Croyant qu’une étude de l’intégration sociale dans son sens large est une étude d’envergure nécessitant un grand investissement en termes de temps et de moyens pour couvrir tous ses aspects. J’ai jugé utile de me limiter, dans le cadre ce travail de recherche, à l’étude de l’intégration dans le milieu professionnel comme condition importante de l’intégration sociale.

En effet, dans une société productiviste, les modes d’intégration reposent en grande partie sur l’activité professionnelle qui assure aux individus la sécurité matérielle et financière, des relations sociales, une organisation du temps et de l’espace, une identité (Paugam,2009).

Je me suis intéressé alors à l’étude de l’intégration professionnelle de ces jeunes à l’âge adulte, de cette position découle ma question de recherche :

Dans quelle mesure l’expérience de l’abandon influence-t-elle l’intégration professionnelle ?

Cette étude présente les données d’une étude qualitative au Maroc dans laquelle 10 jeunes âgés de 21 à 30 ans qui ont quitté les institution de placement, ayants un diplôme ou une formations qualifiantes et entre 03 et 07 années d’expérience professionnelle ont été suivis. La conception de la recherche comprenait un entretien structuré, qui comprenait des questions ouvertes sur les expériences positives et négatives de l’abandon de ces jeunes sur leurs intégration à la vie professionnelle. L’objectif de la présente étude est donc de décrire l’impact de l’expérience de l’abandon sur l’intégration en milieu professionnel. Ces données peuvent apporter un regard nouveau et significatif sur l’intégration des personnes passées par les établissement de protection sociale et servir de ressource solide pour comprendre l’influence de l’expériences pratiques et émotionnelles de l’abandon sur l’intégration professionnel.

1. PERSPECTIVES THEORIQUES SUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES JEUNES DEFAVORISES.

Plusieurs études réalisées au cours de la dernière décennie montrent que les jeunes pris en charge par le système de protection de l’enfance sont particulièrement vulnérables lors de leurs insertion vers le milieu professionnelle et qu’ils peuvent avoir une insertion plus difficile que leurs pairs. Beaucoup de ces jeunes font face à plus de défis dans des domaines importants de la vie professionnelle, tels que (l’enseignement supérieurs, l’emploi, la formation etc.) par rapport aux jeunes qui n’ont pas été en contact avec le système de protection de l’enfance (Backe-Hansen et al. 2014 ; Gypen et al. 2017 ; Mendes et Moslehuddin 2006 ; Mendes et Snow 2016 ; Stein 2012). Au sein de l’International Research Network on Leaving Care (INTRAC), des chercheurs de différents pays du monde se sont réunis pour identifier et discuter des problèmes liés à la situation spécifique des jeunes qui sortent du foyer et à leur insertion dans le lieu professionnelle. Le soutien aux sortants des établissements de prise en charge varie d’un pays à l’autre en fonction de facteurs tels que l’équilibre entre les services universels pour tous les jeunes et les services spécialisés pour ce groupes spécifique et la manière dont les services sont accessibles (en tant que droit ou discrétionnaire, etc.).Cependant, l’insertion difficile et différente pour les jeunes des établissements de protection sociale à la vie professionnelle semblent être un défi général, quel que soit le contexte législatif des différents pays. Alors que bon nombre de ces jeunes sont très résilients dans leur insertion après avoir été placés en institution d’accueil, d’autres ne sont pas adéquatement servis. Les défis peuvent être liés à un certain nombre de facteurs, à la fois des expériences avant le placement, un soutien inadéquat pendant la prise en charge, des transitions accélérées vers l’âge adulte et le manque d’assistance garantie pour faciliter l’insertion Croizier (1995). De nombreux chercheurs désignent le manque de soutien dans une situation de vie vulnérable comme les principaux défis auxquels ces jeunes sont confrontés. L’adolescence est une période vulnérable de la vie, souvent caractérisée par des allers-retours entre dépendance et indépendance, et cette tension est l’une des questions centrales de la recherche sur les transitions de l’adolescence à l’âge adulte.

Plus loin; la recherche souligne l’importance du soutien social (Lemay, 1995). Les jeunes qui quittent la prise en charge sont souvent confrontés à des défis liés à la création et au maintien de bonnes relations (Marion, Paulsen et Goyette 2017 ; Rutman et Hubberstey 2016 ) et à la réception d’un soutien social de bonne qualité. Sans un tel soutien, il y a un risque qu’ils luttent pour être pleinement intégrés dans le milieu professionnel. En partie parce qu’ils n’ont pas la croyance nécessaire en leurs traits concrets et leurs contributions à la société (Paulsen et Thomas 2018) et aussi parce que des relations durables se sont révélées être un prédicteur d’un fonctionnement réussi par la suite (Curry et Abrams 2015 ; Marion, Paulsen et Goyette 2017). La recherche a également identifié comment les jeunes se tournent vers les relations formelles (par exemple, les employés des unités de soins en établissement) pour obtenir du soutien (Schofield, Larsson et Ward 2017 ) lorsque cela est possible et que les relations formelles peuvent dans une certaine mesure constituer un complément et/ou une compensation importants. Pour le soutien du réseau informel, on sait également que bon nombre de ces jeunes ont déjà vécu de nombreux défis à travers la petite enfance, des difficultés psychosociales et des relations familiales difficiles. Par ailleurs, des recherches pointent la corrélation entre les facteurs de risque durant l’enfance et l’activité professionnelle à l’âge adulte (Marion, Paulsen et Goyette 2017 ).Selon une estimation officielle du gouvernement britannique en 2020, parmi les personnes quittant la prise en charge, pas plus d’une sur cent avait réussi à accéder à l’enseignement supérieur (Social Exclusion Unit, 2020). Cela indique que la grande majorité des personnes prises en charge n’atteignent même jamais le point où elles pourraient penser à intégrer un poste de cadre (Curry et Abrams 2015).

De manière générale, l’insertion professionnelle de ces jeunes dépend dans une large mesure de la qualité de la prise en charge dans l’institution et du niveau de soutien dont ils bénéficient à la sortie du système institutionnel. Un problème particulier est que leurs possibilités d’emploi sont relativement limitées en raison d’un faible niveau de qualification professionnelle. En outre, leur l’insertion professionnelle est rendue difficile par un certain nombre d’autres facteurs, tels que de mauvaises conditions de vie, un statut socio-économique faible ou instable, une discrimination fondée sur la race, l’origine ethnique, la religion ou le sexe, un accès limité aux services de santé et un risque élevé de toxicomanie. Curry et Abrams (2015) ont souligné que pour ces jeunes, l’indépendance financière est souvent impossible à atteindre. Des études ont indiqué qu’ils ont des revenus plus faibles et un taux de chômage plus élevé que les jeunes du même âge qui ont été élevés dans des familles. Pour ceux qui trouvent un emploi, leur revenu est souvent insuffisant pour les maintenir au-dessus du seuil de pauvreté Dworsky (2005). Trout, Hagaman, Casey, Reid et Epstein (2008) ont effectué une analyse des études antérieures relatives au statut scolaire des enfants et des jeunes placés en établissement. Les vingt-huit études prises en considération les ont amenés à la conclusion qu’un tiers de ces enfants et jeunes avaient de mauvais résultats scolaires. En outre, beaucoup d’entre eux avaient changé d’école plusieurs fois, avaient redoublé une année scolaire, présentaient un taux d’absentéisme élevé ou avaient même été exclus ou avaient abandonné l’école. De même, Paulsen et Goyette (2017) ont rapporté que les jeunes qui avaient connu l’instabilité dans leur vie personnelle apprenaient à ne pas s’attendre à des amitiés à long terme, afin d’éviter la déception éventuelle d’une rupture amoureuse.

2. MÉTHODE

La méthode de recherche de notre étude a été l’entretien et l’instrument de recherche utilisé à cet égard a été l’entretien semi-structuré. Nous avons considéré cette méthode comme appropriée, étant donné la nature exploratoire de l’approche dans cette étude. Il existe peu de recherches disponibles à ce jour sur le sujet de l’insertion professionnelle des jeunes qui sont par les institutions de protection sociale au Maroc. Par conséquent, la méthode, la technique de sélection et l’instrument de recherche, relèvent tous d’une approche qualitative, le contenu de l’entretien nécessitant une approche exploratoire approfondie des expériences personnelles des individus. Par conséquent, nous ne pouvons pas, strictement, parler d’échantillon représentatif (qui sont méthodologiquement spécifiques à la recherche quantitative) lors de la sélection des sujets. Le choix s’est plutôt porté sur un échantillon rationnel. Notre intention n’était pas d’étudier un grand nombre de cas, par le biais d’une recherche quantitative de type comparatif, mais de révéler les expériences approfondies des personnes interrogées. Une recherche quantitative supplémentaire constituerait, sans aucun doute, un complément utile mais distinct de notre étude. L’objectif principal de notre recherche a été d’étudier l’insertion professionnelle des personnes qui ont quitté le système de protection de sociale au Maroc (c’est-à-dire qui sortent des établissements de prise en charge , généralement entre 18 et 30 ans). Plus précisément, nous avons cherché, non seulement à analyser leurs expériences individuelles, mais aussi à identifier les caractéristiques communes de leurs expériences pendant et après leur séjour en institution. Ainsi, notre étude a été guidée par trois objectifs spécifiques :

1. Documenter les difficultés rencontrées par les personnes ayant quitté le système de protection sociale au Maroc, alors qu’elles cherchaient à s’orienter vers une vie indépendante et une intégration professionnelle ;

3. Explorer les facteurs qui font la différence entre les personnes qui réussissent le mieux et celles qui réussissent moins bien leur insertion professionnelle ;

4. Définir les traits communs et les caractéristiques des répondants ;

Dans notre étude qualitative, le rôle des variables dépendantes est rempli par : les difficultés que les utilisateurs de services ont rencontrées dans leur parcours vers une vie indépendante ; les services et les opportunités qui leur ont été offerts dans ce processus, tandis que le rôle de la variable indépendante est rempli par le succès de leur insertion professionnelle (y compris la corrélation de ce succès avec le passage par l’institution). En raison de la difficulté de quantifier le nombre d’individus qui sont sortis du système de protection sociale au Maroc à ce jour, notre échantillon est non probabiliste. L’échantillon de recherche se compose de 10 répondants 4 filles et 6 garçon. La participation à la recherche était volontaire pour tous les répondants et reposait sur un consentement éclairé, qui comprenait une garantie de la confidentialité des données. Les répondants provenaient de deux différents établissements de protection sociale à Casablanca. l’identification d’un plus grand nombre de répondants a été gravement entravée par plusieurs facteurs, notamment : les restrictions légales imposées aux institutions de protection de l’enfance concernant les coordonnées des anciens utilisateurs de services ; le manque de contact permanent entre les institutions et les anciens bénéficiaires etc. Notre méthode de recherche est une méthode qualitative, basée sur un entretien semi-structuré. La procédure suivie pour le traitement et la validation des données a été l’analyse thématique. Les critères de cette procédure ont donc été respectés, afin d’éliminer les descriptions subjectives de la réalité et de découvrir les expériences pertinentes des répondants pendant et après leur vie résidentielle. Les directives d’entretien ont été orientées vers deux grands domaines thématiques d’investigation :

– L’expérience réelle du placement en institution ;

– La transition vers une vie indépendante, après l’expérience institutionnelle ;

Les résultats des entretiens ont été rassemblés sous forme de récits de vie individuels, ce qui a permis de faire émerger un certain nombre de thèmes spécifiques, tant à partir des similitudes que des différences entre les récits individuels. Des fragments particuliers des entretiens ont été sélectionnés, afin d’illustrer les principaux thèmes des transcriptions. Toutes les citations tirées des transcriptions d’entretiens suivent de près les propres mots des participants et ont simplement été retranscrits.

Pour des raisons de confidentialité, chaque participant a reçu un pseudonyme, qui est resté le même tout au long de l’étude. L’âge des répondants n’a pas été modifié. Cependant, les données potentiellement identifiables (telles que les noms de lieux) ont été éliminées de la présentation des résultats, pour les mêmes raisons de confidentialité. Une fois que la question de la confidentialité a été clarifiée avec les participants, ceux-ci ont semblé se sentir à l’aise pour parler librement. Pour beaucoup d’entre eux, un facteur supplémentaire de motivation dans leur décision de participer à l’étude était l’espoir que leur expérience pourrait être utile à d’autres utilisateurs des services de protection de l’enfance.

Étant donné la nature descriptive et qualitative de l’enquête sur les personnes qui ont été élevées dans le système de protection sociale au Maroc, notre approche vise à générer des hypothèses plutôt qu’à tester des théories existantes. De tels tests sont bien plus appropriés dans le cadre d’une recherche quantitative.

3. RÉSULTATS

Le groupe de participants à notre étude était composé de dix personnes ayant fait l’expérience de la vie dans un établissement de protection sociale. Parmi eux, six étaient des hommes et quatre des femmes, avec un âge moyen de vingt-quatre ans au moment de l’entretien. Le récapitulatif de l’échantillons son présenté dans le tableau 1.

Tableau récapitulatif de l’échantillons

Prénom Sexe Age Niveau scolaire Diplôme Durée de la formation (ans) Années d’expérience
Soukaina F 23 Niveau Baccalauréat « Hôtellerie » OFPPT  2 4
Zouheir M 22 9ème secondaire « Restauration » OFPPT 2 5
Réda M 22 9ème secondaire « Mécanique Auto »

OFPPT

2 5
HAYAT F 23 Baccalauréat « Gestion des entreprises »

OFPPT

2 3
Nawal F 27 Niveau Baccalauréat « Comptabilité »

OFPPT

2 5
SALAH M 21 9ème secondaire « Restauration » OFPPT 2 4
Chakib M 22 9ème secondaire « Mécanique Auto » OFPPT 2 5
YOUSSEF M 22 9ème secondaire « Menuiserie d’aluminium » OFPPT 2 5
Yasser M 30 Baccalauréat « Licence en droit »

Université

3 5
Halima F 27 Baccalauréat « Ingénieure »

École d’ingénieurs

5 5

3.1 Le passage par l’établissement d’accueil : une expérience sociale marquant l’insertion professionnelle des jeunes

3.1.1 le sentiment d’insécurité

Le temps passé en établissement est décrit par tous les répondants comme une période de grande instabilité émotionnelle. Les répondants expliques le sentiment d’insécurité comme étant la cause de la rupture du liens t’attachement.

Le lien d’attachement permet à l’enfant d’avoir une « base de sécurité » (Bowlby,2007). Ce lien primaire entre l’enfant et ses parents est indispensable pour que l’enfant se développe et découvre la vie. Pour son développement psychique, l’enfant a besoin d’un énorme soutien d’adultes présents et stables. Son développement psychique se construit donc si l’enfant vit dans un « espace rassurant », structuré et stable qui lui permet de se sentir en sécurité (Lemay, 1995). Le sentiment d’insécurité provoque chez le jeune un sentiment de peur et d’angoisse qui l’accompagne tout au long de sa vie. Ainsi dans sa vie professionnelle ceci peut se manifeste par une incapacité à prendre des décisions et une incapacité à accomplir des tâches et d’assumer des responsabilités.

3.1.2 Besoin de connaitre ses origines

Il est clair que les jeunes, s’étant fait abandonner, ressentent couramment le besoin de connaître leur identité car sans la connaissance de leurs origines, certains pensent qu’il est difficile de se connaître réellement. Ce sentiment est d’autant plus présent que l’image reflétée par les parents éducateurs n’est pas suffisante pour s’y identifier ; seuls les parents biologiques le permettent. Le besoin d’être informé sur sa véritable origine est donc presque un impératif pour ces jeunes. Une rencontre avec ses parents biologiques, s’ils existent, permettrait de répondre aux multiples questions concernant la filiation et de ce fait de rétablir l’estime et la confiance en soi.

« je ne sais pas d’où je viens ,je veux le savoir ,c’est une question qui me hante, je veux connaitre mes racines, le fait d’ignorer mes origines me rends malade » (Zouheir)

Ce problème d’estime et de confiance en soi, on le retrouve chez la plupart des jeunes (Paugam,2009), qui, à l’âge adulte, présentent fréquemment une faible estime d’eux-mêmes et pensent ne rien valoir aux yeux des autres. Au milieu du travail, les jeunes affirment avoir un sentiment d’infériorité ; ils se sentent différents… Ces faiblesses tirent leurs origines d’un sentiment d’insignifiance envers les parents biologiques. Les questions trottent dans leurs têtes à propos de leur identité et sur les raisons de leur abandon (Lemay, 1995). Leur capacité d’affirmation de soi ; voir leur assertivité ; une compétence sociale qui repose en grande partie sur une communication efficace, et sur le respect des pensées et des souhaits des autres est de ce fait altérée puisque les personnes assertives expriment clairement, honnêtement et humblement leurs sentiments, leurs désirs, leurs besoins, leurs opinions et leurs limites, sans anxiété excessive, et de manière à respecter la sensibilité et les droits des autres. L’affirmation de soi est souvent associée à une estime de soi et une confiance en soi accrues.

3.1.3 Absence du projet personnel

Parmi les indicateurs qui ont été identifiés par notre recherche il y’a l’absence du projet personnel et professionnel. Il est déterminant dans la qualité de l’intégration de ces jeunes. Beaucoup de jeunes se lancent dans des études sans vision globale ni réel choix ; pourtant, la planification préalable est l’une des conditions de réussite d’une carrière professionnelle (Croizier,1995).

« C’est l’éducateur qui m’a orienté vers la filière scientifique, il m’avait dit que j’aurais des chances pour faire un métier intéressant, malheureusement, j’ai pas eu mon bac, et même ma formation en hôtellerie, c’était pas mon choix ,mais c’était la seule formation disponible lors de mon inscription tardive dans le centre de formation…. » (Halima)

En effet, le Projet professionnel et personnel est un processus de développement étendu sur plusieurs années. Il est construit de façon progressive, et est susceptible de connaître des changements et des réajustements, en fonction de l’évolution de la personnalité, de l’environnement, du marché de travail, etc. Il passe par une réflexion personnelle et un effort de recherche. (Backe-Hansen et al. 2014) La finalité de la construction du Projet professionnel et personnel est de définir un parcours de formation adapté avec le ou les métiers choisis, tout en prenant en compte les aspirations personnelles et professionnelles immédiates et futures du jeune. Il permet ainsi d’effectuer des choix d’études et de carrière qui basés sur une connaissance suffisante des différentes voies possibles (Croizier,1995). L’absence de ce projet à des conséquences négatives sur la carrière du jeune. En effet, se retrouver dans un environnement professionnel qu’on n’a pas choisi ou pour lequel on ne dispose pas de moyens intellectuels ou physique pour peut souvent créer une sorte de démotivation chez le jeune ; qui peut elle-même, être à l’origine d’une véritable crise du désir : le désir de se dépasser, de contribuer à une réussite collective, de participer au bien commun. Et par voie de conséquence, dans la vie professionnelle, c’est la capacité du jeune à se tailler une place parmi ses collègues qui s’en trouve complètement impactée (Croizier,1995).

3.1.4 Le manque d’estime de soi

Au travail, l’estime de soi est la clef du sentiment de bien-être et de la motivation. Plus on manque d’estime de soi au travail, moins on trouve de sens dans son activité et moins on est performant. L’estime de soi d’une personne est un jugement de valeur sur soi-même, donc une attitude vis-à-vis de soi-même. Cette attitude se traduit par : des sentiments de satisfaction (fierté) ou de mécontentement (déception). Des opinions, fondées ou non, sur ses qualités, ses aptitudes, ses défauts et ses compétences. Habituellement, une personne qui a une bonne estime de soi aura confiance en elle. Une personne en manque d’estime de soi manquera aussi de confiance en elle, doutera de sa valeur et entretiendra une image négative d’elle-même. Dans l’environnement de travail, nos résultats sont soumis à notre propre évaluation et à celles des autres, c’est un milieu propice pour tester la confiance en soi.

« Nous sommes le produit d’une erreur !» (chakib)

La reconnaissance au travail peut favoriser le sentiment de fierté, ce qui a pour effet d’augmenter la confiance en soi, permettant à la personne d’être plus efficace et plus heureuse au travail. L’inverse est aussi vrai. Une personne qui se fait continuellement critiquer et qui ne se sent pas appréciée, finira par manquer de confiance, augmentera son niveau de stress « négatif » et deviendra moins efficace et malheureuse au travail (Marion, Paulsen et Goyette 2017). Le manque d’appréciation, l’indifférence et toute autre forme d’agressivité directe ou indirecte peuvent impacter de façon direct le vécu des jeunes voir les pousser à la démission. Le manque d’estime de soi altère aussi la capacité du jeune à prendre des décisions ; décider étant quelque chose que l’on est censé savoir quand on travaille au sein d’une communauté de personnes. Cependant, le jeune qui manque d’estime de soi se trouve souvent bloqué en ne sachant pas quel chemin prendre. Il a peur de prendre une décision ; ce qui le laisse dans un flou total qui affecte négativement son intégration professionnelle.

3.2 De l’établissement d’accueil à la vie professionnelle

Pour nos répondants, les difficultés liées à la transition vers la vie professionnelle ont été atténuées par le sentiment d’abandon, le sentiment de rejet et de stigmate sociale, de frustration et la difficulté de faire confiance aux autres

3.2.1 Le sentiment d’abandon

A l’âge adulte les manifestations du sentiment d’abandon sont nombreuses et se retrouvent à différents degrés. Les jeunes ayant vécu l’expérience ont des difficultés à se stabiliser dans leurs relations d’amitiés, familiales, sociales et professionnelles. Ils ont une peur chronique de se retrouver abandonnés une nouvelle fois. Cette peur est éprouvante pour celui qui la vit, mais également pour les personnes qui l’entourent. Au quotidien, le sentiment d’abandon s’accompagne d’une forte souffrance, d’angoisse, d’anxiété et de tristesse. Les relations sociales sont souvent mises à rude épreuve (Rutman et Hubberstey 2016 ; Marion, Paulsen et Goyette 2017) ; tant la peur de perdre l’autre entraîne des comportements inadaptés, voire insupportables. Le jeune souffrant du sentiment d’abandon peut plonger dans un état dépressif. Il devient alors incapable d’avoir une vie sociale, et son entourage constate chez lui un quotidien bouleversé par certains comportements : un excès de jalousie parfois maladif ou une dépendance affective. Dans le milieu professionnel, ceci se traduit par des malentendus et des conflits quotidiens. La peur de revivre l’expérience de l’abandon ainsi que le stress qui l’accompagne met le jeune en questionnement perpétuel sur son avenir personnel et professionnel : il est incapable de se projeter et est, par conséquent, incapable d’envisager un avenir professionnel dans l’entreprise (Lemay,1995). De plus, compte tenu de l’évolution des organisations, et de l’évolution des horizons actuellement prévisibles, tant concernant la prévisibilité économique, que celui de la prévisibilité des métiers et de l’avenir des emplois dans les entreprises, les jeunes trouvent de plus en plus de difficultés à se projeter. Le fait d’être menacés par l’instabilité de l’emploi et le risque d’être abandonnés par l’employeur, ceci leur rappelle toujours l’expérience traumatisante de l’abandon.

Se référant à ces sentiments, peu après avoir quitté l’établissement, (Nawal) a répondu « …les premiers jours après avoir quitté l’établissement étaient difficiles ,c’été la première fois de dans ma vie que je me suis vraiment sentie abandonnée »

De nos jours, il est devenu presque impossible de faire des projections quant à aux possibilités d’évolution au sein d’une entreprise ; tant les paramètres qui impactent cette évolution sont multiples et variés. Cette réalité prend encore de l’ampleur chez cette frange de la population marquée psychiquement par l’expérience de l’abandon (Arnett, JJ, 2018).

3.2.2 Le sentiment de rejet

Le rejet est l’une de ces blessures émotionnelles les plus profondes. Car quiconque en souffre se sent rejeté en son for intérieur, et interprète tout ce qui arrive dans son entourage à travers le filtre de cette blessure. Il se sent rejeté dans plusieurs situations alors que ce n’est pas le cas. Cette blessure naît du rejet des parents envers leur enfant et parfois, d’un sentiment de rejet de leur parent eux-mêmes sans qu’ils n’aient cette intention (Lemay,1995). Face aux premières expériences de rejet, le jeune commence à croire à une mascarade pour se protéger de ce sentiment si déracinant qui est lié à la sous-estimation de soi-même et qui est caractérisé par une personnalité fuyante (Bourbeau, 2010). Ainsi, la première réaction de la personne qui se sent rejetée sera de fuir le monde réel et il n’est donc pas rare, chez ces jeunes de s’inventer un monde imaginaire.

Ainsi (Reda) raconte à quel point le sentiment de rejet a influencé sur son intégration « Même si tu travail 24/24 pour satisfaire tes collègues et ta hiérarchie, ils ne vont jamais le reconnaitre, et ils ne vont jamais t’apprécier car tu est toujours un bâtard »

À partir des blessures émotionnelles que l’on ressent dans l’enfance, une partie de notre personnalité se forme. Ainsi, le jeune qui souffre de rejet est caractérisée par le fait de se sous-estimer et de rechercher la perfection à tout prix. Cette situation le mène à une recherche constante de la reconnaissance des autres, une reconnaissance très difficile à avoir. Selon Bourbeau, c’est avec le progéniteur du même sexe que cette blessure se fera plus présente, et envers qui la recherche d’amour et de reconnaissance sera plus intense, le jeune étant très sensible à tout commentaire provenant de ce parent-là. Les mots « rien », « inexistant » ou « disparaître » font partie de son vocabulaire habituel, confirmant la croyance et la sensation du rejet qui est imprégnée chez le jeune. Ainsi, il est normal qu’il préfère la solitude car s’il reçoit trop d’attention, il y a de fortes chances qu’il soit méprisé. S’il doit partager des expériences avec d’autres gens, il essayera de passer sur la pointe des pieds, sous la carapace qu’il se construit, presque sans parler ou uniquement pour se sous-estimer lui-même.

Le sentiment de rejet impacte la vie professionnelle de ces jeunes-là : il se traduit par une perte de confiance en soi et par une volonté de s’isoler socialement. Ces jeunes sont menacées de burn out professionnel et vont donc avoir tendance à fuir les autres : ils vont rester un maximum de temps à leur bureau, fuyant les lieux de convivialité comme la machine à café ou le restaurant d’entreprise. Cela s’installe petit à petit et il n’est pas improbable que cette évolution passe inaperçue des collègues. « C’est une forme de stratégie d’évitement, (Curry et Abrams 2015). Puisqu’ils ont du mal à faire face aux exigences de leur propre travail, ils cherchent à limiter les relations avec autrui ». Ils éviteront les réunions autant que possible ce qui risque de mettre en péril leur intégration professionnelle.

3.3.3 la frustration

Le troisième indicateur noté lors de cette phase de départ de l’établissement est celui du sentiment de frustration partagé par ces jeunes ; une sorte d’état d’insatisfaction provoqué par le sentiment de n’avoir pu réaliser leurs désirs et vœux. La frustration, comme conflit intérieur, peut entraîner un manque de confiance en soi. Elle réveille des émotions telles que l’impatience, la colère ou la tristesse. Plus grave, elle peut mener à la dépression. Devenue une obsession, elle empêche le jeune de mener une réflexion claire. Mais pour les psychanalystes, la frustration trouverait toute son utilité à l’épanouissement de l’individu.

Ce sentiment provoque une panoplie de comportements contrastés et incompréhensibles dans la vie socioprofessionnelle des jeunes. Le sentiment de frustration est le catalyseur des mécanismes de défenses tels que l’auto-victimisation. Ce processus psychique ou l’individu se positionne en tant que victime ; victime de son entourage, victime de sa hiérarchie, de ses collègues…(Lemay,1995). Ainsi (Salah) affirme être animé par ce sentiment « il est difficile de trouver sa place dans la société quand on est né sous X »

« Je n’y arrive pas car j’ai été dénigré(e) dans mon enfance », « Je n’aurai pas ce poste car je suis issu(e) d’une communauté discriminée », « Mon Boss ne me donnera jamais de promotion car il me hait » … Toutes ces phrases ne sont pas fausses dans les faits, mais contraignantes dans le positionnement qu’elles donnent et qu’elles disent de celui qui les prononce ou les pense. Car si l’on part du principe que l’on sera victime ou que l’on est victime avant d’avoir commencé la bataille, on a toutes les chances de s’y perdre. Au sein de l’entreprise, le jeune est incapable de sortir à l’heure ; il a envie de partir plus tôt du bureau mais accepte une surcharge de boulot et si vous lui posez la question « pourquoi ? » il répond que c’est « comme ça », « mon Boss ne m’aime pas ». Il attribue les échecs professionnels à la vie en général.

3.2.4 difficultés de faire confiance autres

Le dernier indicateur de cette phase est la difficulté de faire confiance aux autres ou la « méfiance ». Pratiquée à petites doses et à bon escient, la méfiance nous préserve de nombreux désagréments. Mais sans confiance en l’autre, aucune relation amicale, amoureuse ou professionnelle n’est possible. Pour les psychanalystes, cette tendance est, le plus souvent, héritée de l’enfance (Arnett, JJ, 2018). En effet, le jeune enfant vit une situation paradoxale : s’il a confiance en l’adulte ; puisque sa survie et son bien-être dépendent de lui, il est pourtant souvent dans la méfiance. Elle surgit en réponse aux sensations pénibles susceptibles de l’assaillir quand sa mère n’intervient pas assez rapidement pour s’occuper de lui : inconsciemment, il voit alors en elle un « mauvais sein » qui le persécute. Il souffre et attribue automatiquement à sa mère, à ses yeux tout-puissants, un désir de lui faire du mal.

Nous avons noté également chez ces personnes, une incapacité à séparer le personnel du professionnel ; ce qui entraine souvent chez elles des jugements qui impactent négativement leurs relations avec leurs supérieurs. Or, avoir de mauvaises relations avec ses collègues au travail peut vite se transformer en un enfer au quotidien. Irritabilité, silence pesant ou encore solitude peuvent ternir votre moral et votre motivation, voir même conduire vers le burn-out.

Et au-delà de la souffrance personnelle qu’entraîne une mauvaise entente avec ses collègues, les divergences et incompatibilités de caractères sont également néfastes pour l’entreprise ; le manque de communication entraînant un manque de productivité et une perte de temps pour l’organisation où l’on travaille.

De la même manière que pour une amitié, une relation professionnelle s’entretient. Les déjeuners et pauses café sont parfaits pour nouer des liens avec ses collègues. Prolonger quand c’est possible le temps de discussions et de rigolades hors de l’entreprise en allant boire un café par exemple. Gardez en tête que la vie en entreprise fonctionne de la même manière que la vie en société. Des codes de politesse et de savoir-vivre sont indispensables pour garder une bonne entente même lors d’une incompatibilité de caractère (Croizier,1995).

Les jeunes qui ont des difficultés à faire confiance aux autres n’arrivent pas entretenir une relation professionnelle et par conséquent gèrent mal leur intégration professionnelle.

4. DISCUSSION

La plupart des personnes interrogées dans le cadre de notre étude ont fait preuve d’un niveau remarquable de résilience, compte tenu des graves difficultés auxquelles elles ont dû faire face pendant leur enfance et leur jeunesse. Les facteurs qui ont influencé leur intégration sont en accord avec les résultats de recherches antérieures (Stein, M. 2006 et Mendes et Snow 2016) et comprennent le sentiment d’insécurité, sentiment d’abandon, et l’absence de soutien pour la recherche d’emploi… Les données indiquent une image généralement sombre de la vie en institution. En effet, la majorité des jeunes appartenant à l’échantillon de l’étude éprouve un sentiment d’insécurité qui trouve son origine dans le passé traumatique marqué notamment par de la maltraitance tant dans les établissements d’accueil, à l’école ou dans la rue même. Les difficultés créées par le sentiment d’insécurité sont augmentées par l’absence de projet personnel et professionnelle puisque dans la majorité des cas, cette frange de la population ne dispose d’aucun projet lui permettant d’avoir une visibilité sur son devenir et la manière dont elle compte parvenir à réaliser ses aspirations. Notre analyse des réponses révèle à la fois des similitudes et des différences. La majorité de nos de nos répondants éprouvent des difficultés manifestées au travail dues à ces facteurs-là ont été vérifiées. Tous les participants ont dû faire face à des défis majeurs pendant leur séjour en institution. Les difficultés éprouvées par ces jeunes ont pu également être approchées à travers le manque d’estime de soi qui reste un facteur négatif omniprésent chez cette population de personnes. Ainsi, nous avons pu noter chez elles des problèmes de communication, des difficultés à prendre des décisions, un manque d’affirmation de soi quasi systématique, qui pris ensemble rendent leur intégration professionnelle quelque chose de très hypothétique et incertain.

La transition vers une vie professionnelle n’a pas non plus été sans difficultés, car la majorité des enquêtés présentent des signes de traumatisme refoulé dû à l’expérience de l’abandon qui les rendent complètement dépendants des autres, incapables de prendre des décisions et fragiles dans leurs relations sociales. En ce qui concerne l’objectif, relatif aux difficultés rencontrées par les répondants durant leur transition du système de protection de l’enfance vers une vie indépendante et une intégration professionnelle, les résultats de notre étude ont mis en évidence en grande partie les mêmes problèmes que ceux identifiés par les recherches précédentes : la difficulté de trouver un emploi, ou autre chose que des emplois mal payés, une préparation inadéquate à la vie professionnelle, le sentiment de rejet ( Biehal, N., Clayden, J., Stein, M., & Wade, J. (1994) ; Curry, S. R., & Abrams, L. S. (2015) ; Bălăuță, D., Neagoe, A., Vasiluță Ștefănescu, M., & Toderici, O. F. (2019)

Conclusion

Le passage par l’établissement d’accueil, la qualité de prise en charge des personnes abandonnées reste un facteur déterminant de ce que peut être leur parcours de vie ; un facteur décisif du rapport qu’ils entretiennent au monde et à autrui. Par conséquent, bien qu’il ait des progrès dans l’amélioration des conditions matérielles dans les systèmes de protection, les jeunes adultes sont encore largement mal préparés pour leur transition vers la vie indépendante. En rapport avec cette situation, notre étude offre une contribution à une meilleure compréhension de l’intégration professionnelle des anciens bénéficiaires du système de protection de l’enfance au Maroc. L’importance de notre étude est soulignée par le nombre très limité d’études sur ce sujet dans le contexte social marocain, l’accent a été mis principalement sur l’expérience des anciens bénéficiaires des services de protection dans leur transition vers une vie professionnelle. Les résultats de cette étude sont pertinents pour les groupes universitaires et professionnels qui se concentrent sur cette catégorie de population vulnérable dans le monde entier. Le développement durable d’une société devrait inclure des politiques sociales qui visent à désinstitutionnaliser le système de protection de l’enfance en empêchant la séparation des enfants de leur famille biologique ou, du moins, en trouvant des solutions de type familial pour les enfants abandonnés. Il est donc crucial que leurs conditions de vie en institution soient constamment réévaluées et améliorées et que de meilleurs mécanismes soient développés afin de faciliter leur intégration sociale et professionnelle ultérieure. Sur la base des résultats de notre recherche, les implications pratiques suivantes peuvent être notées :

– La nécessité de compléter les ressources (humaines et financières) existantes, afin d’améliorer la qualité des services pendant les soins résidentiels et lors de la transition vers une vie indépendante .

– L’introduction d’un système d’audit externe visant à évaluer et à améliorer la qualité des services pendant le placement en institution (en particulier les services destinés à aider les jeunes lorsqu’ils se préparent à sortir du système de protection de l’enfance) ;

– Le développement de projets, d’activités et de ressources spécifiques destinés à faciliter l’acquisition de compétences pour une vie indépendante y compris la gestion des finances personnelles .

A la lumière des résultats de cette recherche, il serait d’un grand intérêt d’étudier plus largement la problématique de l’intégration sociale chez cette frange de la population.

Reference

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