L’utilisation des représentations sociales en didactique des langues : Un moyen pour élaborer une formation dédiée aux enseignants de langues étrangères

Nabil CHAFRI 1 , Driss LOUIZ2

1 Enseignant du FLE et étudiant chercheur à FLLA, Laboratoire Langage et société; université Ibn Tofail à Kénitra, Maroc.

2 Professeur chercheur à FLLA; Laboratoire Langage et société ; université Ibn Tofail à Kénitra, Maroc.”

HNSJ, 2023, 4(9); https://doi.org/10.53796/hnsj495

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Publié le 01/09/2023 Accepté le 08/08/2023

Résumé 

Cette étude examine comment la notion de représentation peut contribuer à la création d’une formation spécifique pour les enseignants de langues étrangères. Elle explore le contenu conceptuel des langues étrangères, analyse la notion de représentation dans le contexte de l’appropriation des langues et de la formation des enseignants, et propose des méthodes pour exploiter les représentations dans le cadre de la formation et de l’enseignement-apprentissage des langues-cultures étrangères.

Introduction

Il est évident que l’enseignement des langues s’appuie sur les théories et les concepts de la linguistique, même s’il rencontre des défis lorsqu’il emprunte des notions provenant de domaines plus ou moins éloignés. Néanmoins, l’histoire de l’enseignement des langues démontre que ses outils dépassent largement le cadre linguistique, et il a toujours su s’adapter et tirer profit des avancées technologiques, notamment dans le domaine scientifique. Parmi ces concepts empruntés, on retrouve le concept de représentation, originaire d’un domaine distant de l’enseignement des langues, mais qui a été rapidement adopté en raison de ses caractéristiques horizontales et transversales, devenant ainsi un pilier fondamental. Bien que certains puissent se poser des questions ou éprouver des difficultés à manipuler ces concepts empruntés, il serait une erreur monumentale de considérer ces emprunts comme dénués de fondement.

Les représentations en effet jouent un rôle crucial dans le processus d’enseignement et d’apprentissage des langues, malgré leur profonde influence psychosociologique à différents niveaux. Castellotti & Moore (2002, p. 9) ont validé la pertinence de la représentation dans l’enseignement des langues, en mettant en évidence que la spécificité de ses objets d’apprentissage justifie pleinement sa reconnaissance. En effet, selon les deux auteurs (ibid.), apprendre une langue ne se réduit pas à l’acquisition de connaissances, mais implique également l’appropriation d’usages contextualisés et variés, en particulier dans les interactions, car pour les deux « il ne s’agit pas seulement d’un savoir constitué à acquérir mais aussi d’usages contextualisés et diversifiés à s’approprier, notamment dans l’interaction ». Les représentations deviennent ainsi des outils hautement efficaces, car elles permettent de prendre en compte les diverses sources et références (psychologiques, affectives, sociales et cognitives) qui interviennent dans le processus d’apprentissage et d’enseignement des langues. Dans cette recherche, nous présenterons les éléments liés à la représentation dans le processus d’enseignement des langues étrangères pour renforcer leur statut.

L’analyse de la littérature spécifique sur ce sujet (Moore, 2001 ; Castellotti et Moore, 2002 ; Py, 2000 ; Boyer, 2003 ; Zarate, 1993, etc.) permet de déterminer la place de la représentation dans l’enseignement des langues. Deux méthodes de recherche peuvent être combinées, en suivant les directives de Castellotti & Moore (ibid., pp. 10-18) : l’approche d’étude de la représentation sociale du langage et l’analyse de la représentation de l’apprentissage des langues. Chacune de ces approches comprend également plusieurs directions ou axes de recherche.

En ce qui concerne la représentation sociale de la langue, l’attention est portée sur la perception que les enseignants et les apprenants ont du pays où la langue est enseignée, de ses locuteurs et du système linguistique en lui-même. De plus, cela inclut également l’image que les sujets des langues et des bilingues se font vis-à-vis de cet environnement linguistique.

Il est essentiel de noter que les trois premières images (basées sur le pays, le locuteur natif et la langue) se concentrent particulièrement sur l’enseignement des langues étrangères, dont Zarate (1986 et 1993) est incontestablement un représentant légitime de cette approche. En revanche, les deux autres images (basées sur l’exposition aux langues et aux espèces bilingues) relèvent davantage de la recherche sociolinguistique. Parmi plusieurs auteurs, on peut citer Boyer (2003), Moore (2001) et Py (2000) comme exemples de recherches associées à cette perspective.

Quant à la représentation de l’apprentissage des langues, l’accent est mis sur l’étude de l’impression globale des apprenants concernant le processus d’enseignement et d’apprentissage. Ainsi, il est possible de chercher à comprendre les représentations des apprenants concernant la langue qu’ils étudient (par exemple, s’ils la considèrent comme difficile ou facile), ainsi que leur perception de l’utilité et des objectifs liés à cet apprentissage. Dans un contexte marocain, par exemple, l’anglais obtiendra probablement davantage de commentaires positifs sur son utilité que le français.

Enfin, il existe également une représentation de la relation entre la langue cible et la langue source (le rôle de la langue source dans l’apprentissage de la langue cible, ainsi que la proximité ou l’éloignement entre les deux langues). Dans le contexte marocain, les apprenants qui étudient le français, dont la langue source est l’arabe, éprouveront probablement davantage de difficultés ou de distance par rapport à la langue cible, c’est-à-dire le français, qui est perçu comme étant bien plus éloigné que l’anglais.

L’hypothèse générale de la recherche repose sur les représentations dans l’enseignement des langues, qui, selon différentes orientations, influencent directement le processus d’enseignement et d’apprentissage des langues. Moore (2001, p.11) souligne que certaines études dans ce domaine « explorent les représentations des langues pour expliquer les comportements linguistiques », en se concentrant sur les valeurs subjectives attribuées aux langues et à leurs variétés, ainsi que sur les « évaluations sociales qu’elles impriment à leurs locuteurs ». Ces représentations peuvent donc être un facteur déterminant dans la promotion ou l’entrave à l’apprentissage des langues, et elles peuvent également agir comme une source de motivation pour l’apprentissage.

Cependant, l’attention est principalement portée sur le premier type de représentations, à savoir les représentations sociales des langues, en particulier sur les images que les enseignants et les apprenants ont du pays où la langue est parlée et de ses locuteurs. Cette étude et analyse sont menées dans une perspective interculturelle en didactique des langues et cultures, comme le confirment trois auteurs. Dervin (2009, p. 169) affirme que dans le domaine de la didactique des langues, « les représentations servent la plupart du temps comme plateforme pour l’enseignement dans une perspective interculturelle ». Lipiansky (1996, p. 1) explique que « les représentations que les peuples se font les uns des autres sont un des éléments fondamentaux de la communication interculturelle ». De même, Boyer (2003, p. 9) soutient que c’est « la démarche interculturelle qui a donné lieu à la prise en compte des représentations en didactique des langues-cultures ».

Ainsi, la recherche et l’analyse se concentrent spécifiquement sur les représentations sociales de la langue, en se penchant particulièrement sur les impressions des enseignants et des apprenants concernant le pays où la langue est parlée et ses locuteurs, dans le cadre de l’enseignement des langues et de la culture, en adoptant une perspective interculturelle, comme indiqué par les trois auteurs mentionnés précédemment.

On peut en déduire que la raison principale repose sur l’hypothèse que la mise à jour, l’interprétation et la reconstruction de ces représentations en classe de langue peuvent répondre simultanément à certains principes et/ou objectifs clés de l’approche interculturelle, tels que le relativisme culturel et éducatif, la décentralisation, ou au contraire l’ethnocentrisme, l’éducation à la sensibilité culturelle c’est-à-dire ouverture aux autres et conscience de la propre identité de l’apprenant. Concernant le dernier objectif, Zarate (1993, p.30) affirmait en effet avec certitude que « les représentations de l’étranger constituent paradoxalement une des voies les plus accessibles pour amorcer la réflexion sur le fonctionnement de son identité ».

En conclusion, il apparaît que la mise à jour, l’interprétation et la reconstruction des représentations en classe de langue peuvent servir de manière simultanée à certains principes et objectifs essentiels de l’approche interculturelle. Ces principes incluent le relativisme culturel et éducatif, la décentralisation, ainsi que l’ethnocentrisme, en plus de promouvoir l’éducation à la sensibilité culturelle, favorisant ainsi l’ouverture aux autres et une prise de conscience de l’identité propre de l’apprenant. En lien avec ce dernier objectif, Zarate (1993, p.30) affirme avec conviction que « les représentations de l’étranger constituent paradoxalement une des voies les plus accessibles pour amorcer la réflexion sur le fonctionnement de son identité ». Ainsi, intégrer les représentations dans l’enseignement peut répondre à des objectifs cruciaux de cette approche.

  1. Structure d’une représentation

La structure d’une représentation repose sur trois éléments fondamentaux: “le sujet”, qui est l’individu élaborant la représentation, “l’objet”, qui correspond à la réalité représentée, et “le contexte”, qui représente la réalité sociale dans laquelle le sujet évolue et où la représentation prend forme. Ainsi, les représentations sociales ne se limitent pas à refléter uniquement la relation entre le sujet et l’objet, mais elles cristallisent également les idées, les normes et les valeurs du groupe social dans lequel elles se forment.

En effet, représenter ou se représenter implique un acte de pensée par lequel le sujet se rapporte à un objet. Cet objet peut prendre différentes formes, qu’il s’agisse d’une personne, d’une chose, d’un événement matériel, psychique ou social, d’un phénomène naturel, d’une idée, ou d’une théorie, réelle, imaginaire ou mythique, mais il est toujours nécessaire pour qu’une représentation existe. De plus, la représentation est le contenu concret de cet acte de pensée et porte la marque distinctive du sujet et de son activité. Ce caractère constructif, créatif et autonome de la représentation implique une part de re-construction, d’interprétation de l’objet, ainsi que l’expression du sujet lui-même.

Selon Abric (1994, p. 28), une représentation sociale est composée d’un noyau central ainsi que d’éléments périphériques. Le noyau central joue un rôle essentiel, déterminant la signification et l’organisation de la représentation. Il assure une fonction génératrice en créant et en transformant la représentation. Il est également le garant de la stabilité de la représentation et résiste davantage au changement. Cependant, il est lui-même un sous-ensemble de la représentation, constitué d’un ou de quelques éléments fonctionnant comme un système.

Les éléments périphériques entourent le noyau central et, contrairement à ce dernier, ils sont mouvants et évolutifs, donc susceptibles de changement. Abric (ibidem, pp. 32-34) attribue à ces éléments trois fonctions : la fonction de concrétisation, qui matérialise la représentation en intégrant des éléments de la situation dans laquelle elle se produit ; la fonction de régulation, qui adapte la représentation aux évolutions du contexte tout en garantissant l’intégration de nouveaux éléments sans remettre en cause le noyau central ; et enfin, la fonction de défense, où des changements peuvent se produire de manière pondérée et où des contradictions peuvent apparaître et être tolérées.

Finalement, les deux types d’éléments constitutifs de la représentation fonctionnent comme un système interdépendant. Chaque élément joue un rôle spécifique mais complémentaire à l’autre. Les éléments du noyau central renvoient aux valeurs et normes sociales à partir desquelles se forment les représentations sociales, donc ils sont partagés et collectifs. En revanche, les éléments périphériques renvoient aux caractéristiques individuelles et permettent des adaptations du noyau central commun à la situation. Le terme “périphérique” est utilisé de manière paradoxale car, comme l’affirme Abric (ibidem, p.37), « le système périphérique n’est pas un élément mineur de la représentation, il est au contraire fondamental puisqu’il est associé au noyau central et permet l’ancrage dans la réalité ».

  1. Les fonctions des représentations

D’après Abric (1994, pp. 20-24), les représentations sociales jouent un rôle essentiel dans la dynamique des relations et des pratiques sociales, et elles peuvent remplir quatre fonctions importantes. Voici comment il les décrit :

        1. La fonction de savoir – elles permettent de comprendre et d’expliquer la réalité. En d’autres termes, les représentations sociales servent aux acteurs sociaux pour assimiler et comprendre les choses auxquelles ils adhèrent.
        2. La fonction identitaire – elles définissent l’identité et permettent la sauvegarde de la spécificité des groupes dans la mesure où, à travers elles les individus et les groupes se reconnaissent des ressemblances ou des différences.
        3. La fonction d’orientation – elles guident les comportements et les pratiques, c’est- à-dire que les acteurs sociaux agissent et se comportent en fonction des représentations qu’ils se font de leur rôle et de la situation d’interaction.
        4. Enfin, la fonction justificatrice – elles permettent a posteriori de justifier les prises de position et les comportements. Cette dernière fonction est liée à la troisième, mais leur différence tient au moment d’usage de la représentation. Alors que dans le cas précédent la représentation intervient en amont, dans cette dernière la représentation intervient en aval, servant en ce sens à justifier ou légitimer une action qui a déjà eu lieu.
  1. Les démarches d’exploitation des représentations en classe de langue

Les démarches d’exploitation des représentations en classe de langue ont été abordées par Zarate (1986, p. 62) et plus tard développées par Zarate (1993, pp. 75-99) en trois étapes en classe de langue que nous vous recommandons de décrire ci-dessous.

La première étape – le diagnostic initial des représentations, (Zarate, 1993, p. 76) Cette étape peut se produire en « tout groupe-classe avec lequel l’enseignant prend contact pour la première fois » et comprend la liste des représentations disponibles et l’évaluation de leur pertinence. Diagnostic, car il guidera la conception et la mise en œuvre du cours en principe. (Ibidem, p. 75). D’après Zarate (1993, p. 76), le diagnostic de la représentation initiale peut être fait à travers un test d’association de mots, qui consiste à demander aux élèves de générer deux listes consécutives dans leur langue maternelle dans un court laps de temps, chacune avec cinq mots : l’une sur les « mots spontanément associés au (x) pays dont on étudie la langue », l’autre est sur « des termes associés aux habitants de ce (x) pays ». Cet exercice individuel précède l’étape de synthèse collective.

Pour l’auteur, il est important de retenir ce résultat exhaustif, qui servira de point de départ à l’évaluation finale du cours et à la mesure de l’évolution initiale de la représentation. Cette étape correspond à la méthode de représentation de collection appelée “méthode associative” chez Abric (1994, p.81).

La deuxième étape – Apprendre à analyser l’impact des stéréotypes et analyser leur fonctionnement. Pour l’auteur (ibidem, p. 79), cette démarche est réflexive car elle vise à analyser « comment se construisent ces stéréotypes » et à comprendre les expériences qui conduisent à leur intériorisation. Ces analyses doivent permettre aux élèves de revenir personnellement sur leurs expériences personnelles, de réfléchir collectivement aux “mécanismes imposés aux stéréotypes dominants”, et enfin de comprendre que les stéréotypes renvoient plus à la culture locale qu’à la culture de la langue qu’ils apprennent. L’auteur (ibid., p. 84) fournit et propose des supports d’analyse, les guides touristiques de voyage, présente des extraits de magazines de mode étrangers, des dessins animés d’actualité, des journaux télévisés, et analyse même les stéréotypes d’un même pays véhiculés dans différents contextes.

La troisième étape – Apprendre à relire le rapport à la réalité. Bien entendu, cette étape est un complément aux deux autres étapes, et même le but ultime de la représentation en classe de langue étrangère. Selon Zarate (ibid, p. 91), il s’agit grosso modo d’enseigner aux élèves à “remettre en question l’évidence des rapports sociaux, démontrer les procédés sur lesquels se fonde l’exercice du pouvoir, analyser les prises de position à travers lesquels s’actualisent les mécanismes d’imposition symbolique”. En d’autres termes, c’est une question qui permet aux élèves de faire des observations critiques en même temps, et leur apprend à relativiser leurs représentations, qu’elles soient nationales ou étrangères, c’est-à-dire à leur faire prendre conscience des catégories qui appartiennent aux autres (étrangers), sont « dépendantes des représentations sociales de ceux qui les produisent » (Zarate, ibidem, p. 96). Cette idée a également été soutenue lorsque Lipiansky (1996, p. 17) a affirmé que « la perception de l’autre est toujours relationnelle, c’est-à-dire qu’elle n’implique pas seulement le sujet perçu, mais aussi le sujet percevant et la relation qui s’établit entre eux ». D’autre part, elle trouve des réponses dans ce que Klineberg a dit (cf. 1951) à propos d’une des fonctions des stéréotypes : déterminer voire orienter le sens des relations intergroupes.

Du point de vue de Zarate (cf. 1993), les trois étapes du traitement de la représentation dans la catégorie linguistique sont quelque peu similaires à la méthode de représentation de la rencontre interculturelle proposée par Lipiansky (1996, p. 23). bien que Ce dernier formule ces recommandations à l’intention de ceux qui travaillent dans le cadre de rencontre interculturelle efficace dans le cadre de l’observation de la rencontre du bureau franco-allemand pour la jeunesse, qui par définition est différente d’un cours de langue étrangère absent du contact interculturel. Par conséquent, la première étape qu’il a proposée est décrite comme « d’expression, dans un climat exempt de jugement, des stéréotypes, des préjugés et des représentations mutuelles »; dans une certaine mesure, elle correspond à l’étape d’association de mots (cf. Zarate, 1993). En fait, l’auteur estime que cette étape est nécessaire car elle permet de traiter des éléments précis dans la mesure où “il n’est possible de travailler que sur des représentations exprimées”.

Enfin, le cours de langue de Zarate (1993) ou l’apprentissage interculturel de Lipiansky (1996) devraient viser à révéler, analyser, expliquer et comprendre les mécanismes sous-jacents de la représentation et de la formation des stéréotypes. Selon Lipiansky (Ibid, p. 22), cette méthode sera contre-productive, d’une part, elle conduira à les cacher plutôt qu’à les éliminer, d’autre part, car on ne peut pas les ignorer dans la vie des acteurs sociaux (individus ou groupes). L’auteur (ibid, p. 24) va plus loin, arguant que cette approche va à l’encontre de la formation interculturelle basée sur les fondements suivants :

« Plutôt sur un principe “dissociatif” dans le sens où elle s’adresse à un public marqué par l’hétérogénéité culturelle, où elle cherche à instaurer une communication fondée sur la différence ; dans le sens aussi où elle réclame un travail de “déconstruction” des préjugés, des stéréotypes, mais aussi des idéologies universalistes et des identités nationales ».

  1. La représentation : Une voie pour promouvoir l’éducation au relativisme culturel

D’après Abdallah-Pretceille (1986, p. 100), le relativisme culturel met en avant l’idée que « chaque élément du comportement culturel soit considéré en rapport avec la culture dont il fait partie, et que, dans cet ensemble systématique, chaque détail ait une signification et une valeur positive ou négative ». En ce sens, chaque aspect du comportement culturel doit être considéré en relation avec la culture dont il fait partie, et que chaque détail a une valeur propre, qu’elle soit positive ou négative. Cette approche soutient l’équivalence, la décentralisation et la diversité culturelle des différents systèmes culturels, et elle rejette toute idée de supériorité culturelle.

Cependant, Abdallah-Pretceille (1986, pp. 100-101) souligne que le relativisme culturel peut aussi constituer un piège en étant un « couteau à double tranchant ». D’un côté, il s’oppose à toute forme d’évolutionnisme ou d’ethnocentrisme qui impose une analyse et une comparaison basées sur un seul point de vue ou système de valeurs. D’un autre côté, il ne doit pas être utilisé de manière extrême ou aveugle en attribuant tous les comportements déviants à l’appartenance culturelle de la personne, car cela pourrait entraver tout dialogue réel en acceptant passivement tout sans discernement.

Cet avertissement rejoint les critiques d’ElHajji (cf. 2013) et d’Abdallah-Pretceille (cf. 2003) qui mettent en garde contre l’utilisation d’arguments culturels comme justification absolue. Ainsi, l’éducation au relativisme culturel dans le contexte interculturel ne devrait pas conduire à une fermeture sur soi, mais plutôt à l’acceptation des autres et à l’ouverture à soi.

  1. Perspectives sur les représentations dans cette étude.

Comme nous l’avons vu précédemment, les représentations dans l’enseignement des langues étrangères se concentrent généralement sur la langue apprise, la personne qui la parle et la culture qui lui est associée. Cependant, dans cette recherche, nous aborderons les représentations sous un autre angle, en nous intéressant spécifiquement à l’approche interculturelle chez les enseignants marocains de FLE en tant que pratique.

Selon Cambra Giné (2003, p. 203), lorsque l’on s’interroge sur la représentation des pratiques enseignantes chez les enseignants, on tend à percevoir l’enseignant comme un « agent rationnel et réfléchi qui a ses propres idées et qui prend des décisions en conséquence, et qui fait partie d’un collectif avec lequel il partage une culture professionnelle ». On considère également qu’il est essentiel d’adopter une approche centrée sur la personne qui exerce ce travail pour bien comprendre l’enseignement. Ainsi, il est nécessaire de comprendre leurs points de vue sur ces théories, car la pratique des enseignants peut parfois différer de la théorie, et il peut y avoir une certaine distance entre les deux.

Dans cette étude, nous nous intéresserons donc à “l’agir enseignant”, en mettant l’accent sur leurs connaissances et leur compréhension de l’approche interculturelle, à l’instar de Bigot et Cadet (2011, p. 13).

  1. Approches méthodologiques pour la formation des enseignants basées sur les représentations

Dans ce chapitre, nous proposons quelques pistes méthodologiques pour une formation des enseignants de langues étrangères axée sur les représentations. Nous examinerons spécifiquement les représentations liées au contexte d’enseignement des langues étrangères, notamment le bi-/plurilinguisme, le bi-/pluriculturalisme, le répertoire bi-/plurilingue communicatif et l’alternance codique, ainsi que les représentations sur les pratiques d’enseignement.

6.1. Comprendre les représentations sur les pratiques d’enseignement

Les enseignants de langues étrangères sont confrontés à des contextes et à des publics variés, ce qui les pousse à remettre en question leurs pratiques éducatives. Il est essentiel d’introduire un axe de formation visant à prendre conscience de ces représentations. Cette prise de conscience permettrait de repérer les pratiques effectives mises en œuvre ainsi que les obstacles rencontrés. Favoriser l’échange et l’interaction entre les enseignants et les formateurs pourrait aider à extérioriser leurs conceptions, leurs manques, leurs besoins et leurs attentes, contribuant ainsi à un travail de conscientisation.

L’auto-observation et l’hétéro-observation des pratiques d’enseignement pourraient également être utilisées comme outils complémentaires pour repérer les influences des représentations. Cette approche réflexive croisant pratiques éducatives et représentations permettrait de mieux comprendre les liens entre théorie et pratique.

6.2. Comprendre les représentations sur le bi-/plurilinguisme – bi/pluriculturalisme

Malgré les recommandations du Conseil de l’Europe en faveur du plurilinguisme et du pluriculturalisme, certaines recherches, y compris la nôtre, révèlent une résistance chez les enseignants, les apprenants, les parents et les institutions à reconnaître et accepter cette nouvelle réalité. Le plurilinguisme est souvent perçu comme une contrainte plutôt qu’un avantage, avec des difficultés soulignées dans l’exercice des fonctions éducatives.

Une formation continue s’inscrivant dans l’approche plurilingue et pluriculturelle pourrait encourager l’émergence et la transformation des représentations sur le bi-/plurilinguisme – bi-/pluriculturalisme. Pour atteindre cet objectif, des techniques telles que les entretiens, les récits autobiographiques et les discussions avec formateurs et collègues pourraient permettre de placer les représentations dans le discours. L’observation et l’analyse de corpus bi-/plurilingues provenant de sources diversifiées offriraient une autre perspective pour prendre conscience des avantages et des fonctions du plurilinguisme.

6.3. Comprendre les représentations sur le répertoire bi-/plurilingue communicatif et l’alternance codique

En lien avec le bi-/plurilinguisme, les pratiques langagières des apprenants du FLE reflètent leur répertoire bi-/plurilingue communicatif, souvent perçu comme un handicap plutôt qu’un avantage. L’alternance codique est également mal perçue.

Une reconsidération des représentations sur le parler bi-/plurilingue et sur les fonctions qu’il remplit dans le processus d’apprentissage de la langue cible est nécessaire. La légitimation de ce répertoire passe par une modification des représentations de tous les acteurs impliqués. Des observations de corpus bi-/plurilingues dans des situations sociales ordinaires et d’enseignement/apprentissage permettraient de mieux comprendre les contacts de langues et les différentes fonctions de l’alternance codique.

En adoptant ces approches réflexives et observationnelles, une formation des enseignants axée sur les représentations pourrait contribuer à une meilleure prise en compte du plurilinguisme et du pluriculturalisme, ainsi qu’à l’amélioration des pratiques d’enseignement et d’apprentissage des langues étrangères.

Conclusion

La présente étude met en évidence l’importance des représentations dans l’enseignement des langues étrangères, en particulier sous l’angle de l’approche interculturelle chez les enseignants de FLE au Maroc. Les représentations des langues, des locuteurs et de la culture jouent un rôle essentiel dans la manière dont les enseignants abordent leur pratique pédagogique et interagissent avec leurs élèves.

En comprenant les représentations des enseignants, cette étude offre des perspectives nouvelles sur la manière dont l’enseignement des langues peut être amélioré en favorisant une approche interculturelle plus consciente et sensible. Il est important de prendre en compte les connaissances et les compréhensions des enseignants en matière d’approche interculturelle afin de mieux adapter les programmes de formation et de développement professionnel pour répondre aux besoins spécifiques des apprenants et promouvoir une éducation ouverte à la diversité culturelle.

En fin de compte, cette étude met en évidence le rôle central des représentations dans les interactions sociales et les pratiques d’enseignement en classe de langue. En considérant les représentations comme des clés permettant d’accéder à la culture et à l’identité, les enseignants ont la possibilité de créer des environnements pédagogiques inclusifs, respectueux et favorables à l’apprentissage des langues et à l’épanouissement des apprenants. Ainsi, une réflexion continue sur les représentations dans l’enseignement des langues et une intégration accrue de l’approche interculturelle dans la formation des enseignants de FLE sont nécessaires pour promouvoir une éducation ouverte, équitable et respectueuse de la diversité culturelle.

Toutefois, la question de l’impact des représentations sociales dans l’appropriation des langues étrangères, y compris dans les méthodes multilingues, demeure complexe et ouverte. Des recherches supplémentaires, diversifiant les domaines et combinant différentes méthodes et outils d’investigation, sont nécessaires pour approfondir notre compréhension de ce sujet.

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