Une approche géographique de la culture du kif au nord du Maroc : du cercle des « interdits » au cadre des « usages légitimes »

Iliass BOUHLAL1, BENSSI Hamid2, SADIK abdenour3
1 Doctorant, Département de Géographie. Laboratoire Territoires, Environnement et Développement. Université Ibn Tofaïl, Kénitra. Ilyass.bouhlal@uit.ac.ma2 Enseignant chercheur. Faculté des Sciences Humaines et sociales- Kénitra.
3 Enseignant chercheur, Ecole Normale Supérieur, Université Mohammed V, Rabat
HNSJ, 2024, 5(1); https://doi.org/10.53796/hnsj51/27
DownloadPublié le 01/01/2024 Accepté le 23/12/2023

Résumé 

Cet article traite de la culture du kif au nord du Maroc, notamment dans les tribus (Ketama, Beni Sedath et Beni Khalid), connues comme les zones historiques de cette plante, qui s’est récemment imposée comme un sujet ayant suscité de grandes controverses et a attiré l’attention de l’opinion publique et des partis politiques aux niveaux national et international. Avant d’entrer dans le vif du problème, il faut s’arrêter sur le premier axe, sur les premiers débuts de la culture du kif au Maroc, à travers les expansions spatiales de cette culture. Dans le deuxième axe nous travaillerons sur un inventaire des lois les plus importantes qui ont organisé cette culture, Quant au troisième axe, nous mettrons en évidence les avis des agriculteurs sur la nouvelle loi.

Mots Clés: Cannabis – légalisation – montagnes rurales – zones historiques – aménagement du territoire – usages légitimes.

La problématique

La problématique de l’étude se pose : « Comment le projet de légalisation du kif peut-il constituer un nouveau modèle de développement pour changer la carte de développement des zones autorisées à cultiver cette plante ?

Cependant, la problématique de l’étude de cette manière soulève une question majeure liée au contexte historique de la culture du kif au Maroc ? Quel est l’avis des agriculteurs sur la nouvelle loi relative aux usages licites ?

Importance du sujet :

L’importance de l’étude découle de l’importance de légaliser la plante du kif pour corriger les déséquilibres résultant de la contrebande et du phénomène de migration, ainsi que de bénéficier de ses utilisations industrielles au profit des agriculteurs et de l’économie marocaine.

La méthodologie mobilisée :

L’étude est basée sur l’utilisation de la méthodologie de la recherche scientifique par des méthodes d’inférence inductives et déductives, en plus de l’adoption d’approches historiques et juridiques afin d’identifier les périodes d’apparition de la plante du kif et les étapes d’expansion de sa culture, et analyser la législation qui la réglementait. Enfin, nous nous sommes appuyés sur des recherches sur le terrain pour permettre au chercheur d’atteindre les objectifs de l’étude et de tirer un ensemble de conclusions et de recommandations.

Présentation de la Zone d’étude

La zone d’étude (Issaguen et de Moulay Ahmed Cherif) est située au cœur des montagnes du Rif central et administrativement ces deux communes sont situées au sein du cercle de Ketama dans le territoire de la province d’Al Hoceima, qui appartient à son tour à la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima, selon le nouveau découpage régional de 2015.

Les deux communes étudiées sont situées à l’ouest de la province et sont bordés par :

– Du nord : la commune Bni gmil Maksouline ;

– Est : communes Zarqat, Bni Bounssar et Taghzout ;

– A l’ouest : la commune de Ketama et la province de Chefchaouen ;

– Au sud : la commune Abdelghaya souahel.

Un questionnaire a été élaboré pour les minages de deux douars de la commune Issaguen et de deux douars de la commune Moulay Ahmed Sharif, qui comprend les informations à collecter pour servir le sujet de recherche et sa problématique fondamentale.

Nous avons rempli environ 600 formulaires répartis parmi les suivants : 266 dans la commune Issaguen et 359 dans la commune Moulay Ahmed Sharif.

Introduction

Le Maroc, comme d’autres pays américains, asiatiques et africains, a hérité de la culture du kif, et cela remonte à des périodes historiques anciennes, étant donné que cette plante était principalement préparée pour l’utilisation de ses fibres dans la fabrication de textiles, de cordes, sacs en toile de jute et usages médicaux…, et à ce titre, il faisait l’objet d’opérations, d’échanges et de trocs entre trafiquants, et son utilisation à des fins stupéfiantes était limitée.

Malgré la politique d’interdiction initiée par les autorités marocaines, la superficie des terres cultivées en kif reste la plus grande au monde.

Afin de suivre le rythme des lois internationales liées à la légalisation du cannabis, le Maroc a à son tour promulgué une loi réglementaire relative aux usages légitimes du cannabis. Quel avenir pour la culture du kif dans les régions du nord avec l’émergence de cette nouvelle loi ? Quel est l’avis des agriculteurs sur cette loi ? Ce projet sera-t-il capable de réduire la contrebande et l’agriculture illégale

  1. Le contexte historique du début de la culture du cannabis

La plante kief est considérée comme l’une des plantes les plus anciennes auxquelles les humains s’intéressaient dans les civilisations anciennes, et elle est apparue pour la première fois dans la civilisation chinoise il y a des milliers d’années avant JC.

Le manuscrit le plus ancien de la plante du kif en Europe remonte au premier siècle après JC et se trouve au British Museum. Ce dessin fut ensuite accompagné de commentaires en arabe[1]. Quelle est la date à laquelle cette plante a été introduite au Maroc ?

  1. L’histoire de la culture du kif au Maroc

Certaines sources ont confirmé que la plante du kif était présente au Maroc au 18ème siècle, lorsqu’elle était cultivée à Ketama et dans les régions du Souss et de Marrakech[2].

Au 19ème siècle, “Ketama était célèbre pour la production de kif, et celui-ci était vendu sur tous les marchés de la tribu »[3].

Il existe des sources datant de la période à laquelle il est entré au Maroc. Au 7ème siècle après JC[4]. Ce qui est venu avec l’arrivée des Arabes au Maroc[5].

D’autres affirmaient que son entrée au Maroc datait du 13ème siècle[6]. La source la plus complète sur la culture du kif au Maroc au 14ème siècle est peut-être la description de l’Afrique par Jean Léon Africain, où il indiquait que « le cannabis était cultivé à Maghila près de Meknès, Ouzgan et Sefrou »[7].

Certains d’entre eux ont été mentionnés au 13ème siècle, lorsque les Saadiens s’efforçaient de l’interdire pendant cette période[8], et ils étaient publiquement brûlés sur les marchés hebdomadaires[9].

D’une manière générale, cet héritage (la plante du kif) peut être considéré comme un fait historique imposé qui s’est infiltré dans le sol de notre pays et a été encouragé par les pays coloniaux. Quelles sont les zones historiques de culture du kif ? Comment cette culture s’est-elle développée dans le nord du Maroc ?

  1. Expansions spatiales de la culture du kif au nord du Maroc

Le Maroc a été témoin d’un ensemble d’événements et de faits dans le nord du Maroc qui ont directement affecté l’expansion des superficies cultivées avec cette plante. À cela s’ajoute l’augmentation de la population, la rareté des terres agricoles et les conditions naturelles difficiles qui poussent les habitants à rechercher d’autres ressources pour vivre. Face à cette situation, de nombreuses tribus du Rif ont trouvé dans la culture du kif une solution pour améliorer leur niveau économique et social.

2.1 Zones historiques de la culture du kif au nord du Maroc

Les dernières décennies du 19ème siècle furent connues comme une période de faiblesse de l’autorité centrale, ce qui poussa le sultan Moulay Hassan Ier à accepter en 1890 d’autoriser la culture du kif dans les montagnes du Rif[10]. Plus tard, pendant la période coloniale, Franco autorisa la culture du kif à Ketama et chez certains de ses voisins[11]. Cette culture a prospéré dans la zone du protectorat espagnol pendant la période établie dans la zone du protectorat français dans le cadre de la Convention internationale sur les stupéfiants à laquelle le Maroc a adhéré[12].

Carte n°1 : Zones historiques de culture du kif dans le Rif central autorisées par le sultan Hassan Ier en 1890

Source : GERARD Maurer 1968

Les zones historiquement connues pour cette culture au nord du Maroc sont : les tribus Ketama et Beni Sedath, qui appartiennent à la confédération tribale Sanhaja Saraiar (province d’Al Hoceima) et la tribu Beni Khalid, qui appartient au groupe tribal Ghemara (province de Chefchaouen).

Cependant, ces régions historiques ne dépendaient pas principalement du kif pour leur économie, car l’agriculture de subsistance était plus importante que la culture du kif[13]. Cependant, après l’indépendance du Maroc, la culture du kif est devenue l’épine dorsale de l’économie rurale de ces régions, et a pu avoir un fort impact sur les revenus des agriculteurs. En contrepartie, cette situation a conduit à l’expansion de cette culture vers de nouvelles régions.

2.2 Superficies couvertes par la culture du kif au nord du Maroc

La culture du kief dans le nord du Maroc a connu une large expansion qui s’étend à de nouvelles superficies, Cette diffusion rapide a coïncidé avec une augmentation de la demande de ce produit sur le marché européen, surtout après la fabrication du (hachisch) à partir de la plante du kif, et grâce à ses rendements élevés, elle a pu améliorer les conditions de vie de la population. Alors, Quels sont les nouvelles régions couvertes par cette culture ?

Carte n°2 : Expansion spatiale de la culture du kif au nord du Maroc après 1980

Source : LABROUSSE A et ROMERO L 2001: Rapport sur la situation du cannabis. op cit. P. 8.

Au début des années 1960, la génération hippie a lancé le slogan de la légalisation de la consommation du kif, emmenée par des rock stars américaines et anglaises et d’autres groupes. Ces vagues ont contribué à attirer l’attention sur la région de Ketama, qui est devenue une destination pour ceux qui souhaitent consommer du kief.

Au cours de cette période, les agriculteurs ont commencé à considérer la culture du kif comme une opportunité d’augmenter leurs revenus. Cette culture a donc progressivement commencé à se développer dans la région et à s’étendre à de nouvelles zones afin de répondre à la demande européenne[14].

Au début des années 1980, la superficie du kif variait entre 5 000 et 10 000 hectares, et elle passe entre 30 000 et 35 000 hectares à la fin de la même décennie[15]. La superficie cultivée à Kif en 1993, selon les statistiques du ministère de l’Agriculture, s’élevait entre 64.000 et 74.000 hectares[16], et en 1995, sa superficie atteignait environ 79.846 hectares, selon les données du PAIDAR-MED. En 2000, selon les données du ministère marocain de l’Agriculture, sa superficie atteignait 90 000 hectares, puis elle est passée à 100 000 hectares[17] en 2001.

Carte n°3 : Expansion spatiale de la culture du kif par les communes du nord du Maroc en 2003

Source: Office des Nations unies contre la drogue et le crime. 2003: Enquête sur le cannabis au Maroc. P. 10.

En 2003, le gouvernement marocain a conclu un accord de coopération avec l’Office des Nations Unies de lutte contre la drogue et le crime afin de mener des recherches sur la production du kif au Maroc. Parmi les résultats de ces recherches figurent[18] : L’augmentation de la superficie cultivée en kif dans le nord du Maroc a été estimée à environ 134 000 hectares répartis sur cinq provinces, et le nombre total des familles cultivant le kif était d’environ 800 000 personnes, tandis que la production était estimée à environ 47 000 tonnes. La province de Chefchaouen occupait 50% de la superficie totale cultivée en kif dans les cinq provinces, suivie par la province de Taounate avec 19%, Al Hoceima avec 17%, puis Larache avec 9% et enfin Tétouan avec 5%.

Il ressort de ces chiffres que la superficie des terres cultivées en kif a connu une expansion significative par rapport à l’année 2001, passant de 100 000 hectares à 134 000 hectares, soit une augmentation de 34 000 hectares en deux ans.

Carte n°4 : Expansion spatiale de la culture du kif par les communes du nord du Maroc en 2005

Source: Office des Nations unies contre la drogue et le crime 2005: Enquête sur le cannabis au Maroc. 6.

On constate que la superficie de la culture du kif a diminué au cours de l’année 2005 par rapport à 2003, passant de 134 000 hectares à 72 500 hectares. Par exemple, on constate que le nombre des communes qui pratiquaient la culture du kif dans la province d’Al Hoceima est passé de 26 communes en 2003 à 17 communes en 2005, et d’une superficie de 22 831 hectares à 11 671 hectares.

Ce déclin s’explique par les efforts déployés par l’État, notamment depuis le début de l’année 2004, que ce soit en brûlant les récoltes, en arrachant les plantes ou en les aspergeant de matières toxiques, ainsi qu’en emprisonnant un grand nombre d’agriculteurs et de trafiquants de drogue.

Table No. 1: The evolution of the area cultivated with kif in northern Morocco during the period between 1993 and 2013

Années La superficie cultivée en kif en hectares
1993 A 1995 B 2000 C 2001 D 2003 E 2004 E 2005 E 2013 F
Al Hoceima 32000 37650 22831 10524 11671
Chefchaouen 18000 35760 66699 75195 40529
Larache 20000 11750 11966 14718 0
Taounate 4840 25720 11892 12362
Tetouan 6889 8225 7916
total 70000 79846 90000 100000 134105 120554 72500 48500
Pourcentage d’augmentation ou de diminution 9846+ 10154+ 10000+ 34105+ -13551 -48054 -24000

Source: A : OGD. – B : PAIDAR-MED. – C: OGD. – D: Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies 2001. – E: Office des Nations unies contre la drogue et le crime. 2003, 2004 et 2005. Enquête sur le cannabis au Maroc. – F: ONUDC 2013.

La superficie cultivée en kif au nord du Maroc a augmenté de manière significative entre 1993 et ​​2003, passant de 70 000 mille hectares à 134 105 mille hectares, soit une augmentation de 64 106 mille hectares en dix ans. Alors que cette superficie a connu un déclin au cours des années suivantes entre 2003 et 2013, puisqu’elle a diminué de 63%, ce qui signifie une superficie en déclin de 85.605 mille hectares.

Si la raison du déclin de la culture du kif était principalement due aux interventions injonctives de l’État, alors la raison de l’expansion de cette agriculture dans le nord du Maroc en général, et dans les régions historiques en particulier, est due à la faiblesse des interventions de développement de l’État. À cela s’ajoutent la prédominance des exploitations agricoles de petite superficie et le faible pourcentage de terres immatriculées.

2.3 Expansions spatiales du kif et leur impact sur l’environnement

Les dernières décennies ont vu l’introduction de nouveaux types de semences importées, via des réseaux de contrebande mondiaux, tels que les « graines pakistanaises, mexicaines et Khardala… » La plante de cannabis « Critical » est considérée comme l’une des graines les plus récentes qui s’est développée très rapidement grâce à son rendement élevé.

Dans ce contexte, il existe des commerçants spécialisés dans les graines hybrides, aux Pays-Bas en Suisse et en Espagne, ont reçu de nombreux prix lors de concours organisés dans ces pays, notamment : (Cannabis Cup) en Suisse ; Cannatrade Cup organisée en 2000 ; Coupe Spannabis en Espagne ; Et l’Expocannabis Cup aux États-Unis[19].

Les effets négatifs de l’expansion de la culture du kif sur l’environnement sont nombreux, notamment : l’épuisement de la réserve d’eau de la zone dans laquelle il est cultivé, la menaçant de dangereuses vagues de pénurie d’eau, facilitant l’érosion et accélérant le rythme du processus d’érosion. , et l’impact négatif sur la biodiversité, à travers l’abattage des arbres, ce qui conduit à l’élimination de nombreuses plantes, animaux et à la perturbation de l’équilibre environnemental de la région.

La culture industrielle du cannabis pourrait avoir des bénéfices économiques et environnementaux à moyen et long terme, mais les conditions de son développement au Maroc ne sont pas réunies actuellement, sauf au niveau expérimental.

Il convient de noter que les graines hybrides importées de l’extérieur du Maroc entraînent plusieurs problèmes dans la région, dont certains sont liés aux aspects économiques et sociaux, et d’autres sont liés à l’aspect environnemental. Ces graines conduisent à l’appauvrissement des sols et à l’épuisement des eaux, et affectent également indirectement la plante locale du kif, ce qui signifie son extinction progressive et définitive de la région.

  1. Le contexte historique des lois régissant la culture du kif au Maroc

Quelles sont les législations les plus importantes émises pour réglementer la culture du kif au 20ème siècle ? Quelles sont les évolutions législatives au début du 21ème siècle dans ce contexte ?

  1. La législation réglementant la culture du kif au Maroc au 20ème siècle

La culture du kif dans notre pays n’a connu de reprise ou de développement qu’à l’époque du protectorat français au sud et espagnol au nord. Et les superpuissances avaient stipulé lors de la Conférence d’Algésiras du 7 avril 1906 (chapitre 72) que la culture et la production de la matière kif seraient monopolisées par l’État.

Il convient de noter que le monopole du tabac et du kif par l’État marocain constituait une recette annuelle comprise entre 10 et 12 millions de Peseta[20].

Tableau N°2 : inventaire des lois édictées concernant la culture du kif au Maroc

Étapes législatives Dahir – Décret – Loi Domaine d’application
Première étape Dahir du 05/04/1915 relatif à la surveillance et la répression de la contrebande des tabacs et du kif Zone d’occupation française
Décret du 6 février 1917 publié au Journal Officiel du 10 mars 1917 réglementant la culture du kif. Zone d’occupation espagnole
Deuxième étape :

Ajuster la culture du kief

Dahir du 9 safar 1388 (3 novembre 1919) portant réglementation de la culture du chanvre à kif Zone d’occupation française
Dahir du 12 rebia II 1341 (2 décembre 1922) portant règlement sur l’importation, le commerce, la détention et l’usage des substances vénéneuses Les trois régions
Dahir du 18 safar 1348 (25 juillet 1929) instituant un impôt sur le prix de vente des tabacs et du kif Les trois régions
Dahir du 1er chaoual 1350 ( 8 Février 1932 ) portant approbation d’une convention passée entre le Gouvernement chérifien et la Société internationale de régie coïntéressée des tabacs au Maroc Les trois régions
Décret du 22 août 1935 portant limitation du champ d’application territorial des zones de culture du kif et les définissant en trois régions : Ketama, Beni Sedath et Beni Khaled. Zone d’occupation espagnole
Dahir du 18 joumada II 1359 ( 24 juillet 1940 ) instituant une taxe exceptionnelle et temporaire sur la vente des tabacs et du kif Zone d’occupation française
Troisième étape :

Interdire la culture du kif

Dahir du 20 chaabane 1373 ( 24 avril 1954 ) portant prohibition du chanvre à kif Zone d’occupation française
Décret n° 2-56-038 du 20 kaada 1375 ( 30 juin 1956 ) allouant des gratifications aux agents chargés de la répression de la fraude sur le kif Maroc
Quatrième étape:

Extension du Dahir 1954 appliqué en région française au reste des régions du Royaume après l’indépendance.

Dahir n° 1-60-138 du 16 joumada II 1380 ( 6 décembre 1960 ) complétant le dahir du 20 chaabane 1373 ( 24 avril 1954 ) portant prohibition du chanvre à kif, en ce qui concerne son application à l’ancienne zone de protectorat espagnol et à la province de Tanger Zone d’occupation espagnole
Cinquième étape: la répression de la toxicomanie Dahir portant loi n° 1-73-282 du 28 rebia II 1394 ( 21 mai 1974 ) portant prohibition du chanvre à kif, tels qu’ils ont été complétés ou modifiés Maroc
Décret n° 2-77-626 du 19 Chaoual 1397 (3 octobre 1977) créant une commission nationale des stupéfiants Maroc

Source : Journal Officiel du Maroc

Si l’on retrace les textes juridiques édictés dans le domaine de la culture du kif au Maroc au cours du XXe siècle, on constate qu’elle est passée par une série d’étapes : le législateur a tenté au début de trouver un cadre juridique pour contrôler la culture du kif, avant de recourir à le criminaliser et finalement l’interdire complètement.

  1. Les lois et décrets pris au 21ème siècle concernant la réglementation de la culture du kif au Maroc

De nombreux pays, notamment au début du 21ème siècle, ont connu une nouvelle approche pour réglementer la culture du kif. Par exemple, en 1999, le Canada a mis en œuvre un programme sur le cannabis médical et a adopté une loi autorisant l’usage médical du cannabis sous certaines conditions. Puis, dans ce contexte, Israël a suivi (2001). et les Pays-Bas (2003), puis d’autres pays comme la Suisse (2011), la République tchèque (2013), l’Australie (2016), l’Allemagne (2017), etc[21].

L’année 2021 a été marquée par un bond qualitatif après que le Maroc a voté, aux côtés de 27 autres pays, la suppression du « cannabis » de la catégorie des drogues dangereuses et après la décision finale de supprimer le cannabis de la quatrième liste annexée à la Convention des Nations Unies sur les stupéfiants du 1961. Le Maroc s’implique dans la question de la légalisation de cette culture et procède à la promulgation de la loi n° 13.21 concernant les usages licites du cannabis[22].

Cette loi a été suivie d’un ensemble de décrets et de décisions, liés à la précision des formes de contrat de vente, au type de semences, et à la déclaration des dommages et pertes…, quelle est L’avis des agriculteurs sur la nouvelle loi relative aux utilisations légales des cannabis ?

  1. L’avis des agriculteurs sur la nouvelle loi concernant les utilisations légales du cannabis

Avant de parler de l’avis des agriculteurs, il faut souligner à cet égard que le Blad du Kif a besoin d’un projet intégré pour le sortir de la pauvreté et de la marginalisation, car la pauvreté est endémique dans la région depuis de nombreuses décennies.

La situation s’est considérablement aggravée ces dernières années au point que la plupart des agriculteurs n’ont pas entièrement exploité leurs exploitations (cas des communautés Issaguen et Moulay Ahmed Cherif).

Graphique n°1 : L’avis des agriculteurs sur la légalisation de la culture du cannabis

Source : enquête de terrain 2021

Du graphique ci-dessus, il ressort clairement que l’avis des personnes interrogées concernant la légalisation de la culture du kif diffère entre ceux qui accueillent favorablement cette loi et ceux qui la rejettent, et l’avis dominante dans ce contexte reste l’avis positive de la nouvelle loi, qui atteint 64,2%, ce qui indique que la majorité des personnes interrogées soutiennent ou saluent la légalisation du kif, l’avis qui reste conditionnelle, comme l’exprime la plupart des personnes interrogées, à ne pas élargir la zone de la culture du kif et à le limiter aux zones connues pour sa pratique cette culture. Ce pourcentage s’explique également par la volonté des résidents d’exercer leurs activités en public et sans crainte.

Quant à ce qui fait le pourcentage de 21,7% contre la légalisation, cela peut s’expliquer par le fait de ne pas partager leurs opinions et leurs revendications lors de la formulation de ce projet, ce qui leur a fait craindre l’avenir de cette démarche. En fait, selon eux, il ne s’agit que de combattre l’agriculture d’une autre manière. La légalisation de cette culture permettra-t-elle réellement de réduire les poursuites judiciaires et de préserver les semences locales ? Ou permettra-t-il seulement aux pouvoirs publics d’étendre leur contrôle sur la production de cette plante ?

Figure n°2 : Le sort futur de la culture illégale du kif selon la croyance des habitants de la région

Source : enquête de terrain 2021

Il ressort clairement du graphique ci-dessus que la majorité des personnes interrogées ont déclaré que le sort de la culture du kif dans le futur est l’extinction, que ce soit à court ou à long terme, puisque le pourcentage de ces personnes interrogées a atteint 88,8%, tandis que le pourcentage de personnes interrogées qui considèrent que le sort de la culture du kif soit permanent constitue un faible pourcentage, ne dépassant pas 11,2%.

Ces résultats obtenus grâce à des recherches de terrain convergent avec les résultats du ministère de l’Intérieur dans son rapport sur l’état actuel de la culture du cannabis au Maroc, où 80% de la production du kif est menacée de disparition en raison de la légalisation du cannabis médical et récréatif actuellement en Europe. Cette situation pourrait entraîner de grandes souffrances pour les agriculteurs des régions du Kif. Dans ce contexte, le ministère de l’Intérieur a classé dans son dernier rapport les souffrances des agriculteurs en trois catégories :

Premièrement, ils sont exploités économiquement par les passeurs. Deuxièmement, ils sont contraints de vivre dans un semi-anonymat et sont incapables de participer pleinement à la vie sociale. Troisièmement, leur environnement naturel se détériore rapidement.

Résultats

À travers cet article, nous avons constaté que les facteurs de l’expansion de la culture du kif dans le nord du Maroc sont représentés par deux facteurs principaux : le premier facteur représenté par la colonisation espagnole sous-développée, qui n’a pas développé la région, et le deuxième facteur représenté par la fragilité des ressources naturelles, les reliefs, La dureté du climat et la mauvaise rentabilité des terres en raison de leur mauvaise qualité. En conséquence, les paysans ont dû chercher des alternatives économiques capables de résister à la cruauté de la nature.

La première contrainte qui entrave la nouvelle loi relative à la légalisation du cannabis est le processus d’autorisation, car l’autorisation nécessite un certificat de propriété foncière, sachant qu’il existe des difficultés dans le processus de propriété foncière dans ces zones.

L’approche juridique est insuffisante car il s’agit d’un projet territorial pour une zone à forte croissance démographique et aux caractéristiques naturelles et économiques fragiles.

Les suggestions et les demandes des agriculteurs n’ont pas été prises en compte lors de l’élaboration de la nouvelle loi concernant la légalisation du cannabis.

La loi oblige les agriculteurs à utiliser des graines de chanvre importées de l’étranger, ce qui signifie que les graines locales vont disparaître, sachant que les graines locales ne nécessitent pas beaucoup d’eau dans une région montagneuse qui souffre d’une importante pénurie de cette substance vitale.

La plupart des personnes interrogées ont accepté de légaliser cette culture, à condition que les poursuites judiciaires contre toute personne recherchée par la justice soient annulées. Ils privilégient également l’idée de créer des alternatives comme : encourager d’autres cultures compatibles avec le sol et le climat de la région montagneuse, comme les figues, les amandiers et la vigne. Encourager les agriculteurs en créant des écuries dans lesquelles le bétail est élevé et engraissé, en établissant des usines et des laboratoires qui fournissent à la population des revenus garantissant à la population locale son humanité et sa dignité.

Conclusion

A travers cette étude, il est clairement démontré que la nouvelle approche de légalisation du cannabis pour lutter contre la culture illégale est inimaginable en dehors de la réhabilitation et du développement des zones en question en fournissant les infrastructures et les équipements sociaux nécessaires, car le problème est plus vaste que la simple légalisation de la culture du kif.

Il faut savoir que le projet de légalisation n’est pas de tout repos. Au contraire, cela nécessite du temps, des dépenses énormes, de grands sacrifices et la recherche de marchés internationaux et d’experts spécialisés dans le domaine afin que le succès de ce projet puisse être garanti et profite au pays et à sa population. Car l’idée de légaliser la culture du kif en général est positive pour les agriculteurs de cette plante, qui vivent une vie instable en raison de leur sentiment de sécurité et d’insécurité économique et sociale dans ce pays. Rationner cette agriculture est-il suffisant pour réaliser le développement territorial et réduire les effets négatifs et les souffrances vécues par l’agriculteur ?

De manière générale, nous ne pouvons que noter cette étape importante concernant la légalisation de l’usage du cannabis, et si nous l’apprécions, nous appelons à accélérer la mise en œuvre de ce projet et à rechercher des alternatives économiques immédiates pour la population jusqu’à ce que les licences soient généralisées à tous familles sans exception, en plus de rechercher des alternatives efficaces, Pour les régions où la pratique de la culture du kif était interdite, afin de limiter là encore son expansion.

Références

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  • Office des Nations unies contre la drogue et le crime 2003: Enquête sur le cannabis au Maroc.
  • PACZESNY Marine 2014: Cannabis sativa L: Etude botanique et chimique: propriétés médicales et état des lieux sur la réglementation. Thèse de doctorat D’état. FACULTÉ DE PHARMACIE DE GRENOBLE.
  • PASQUAL Moreno Torregrosa (1997): « Estudio del cultivo del cannabis sativa en el Rif marroqui: sus consecuencias socioeconómicas para la región »Teses doctoral, Universidad politécnica de Valencia.

Margines:

  1. PACZESNY Marine 2014: Cannabis sativa L: Etude botanique et chimique: propriétés médicales et état des lieux sur la réglementation. Thèse de doctorat D’état. FACULTÉ DE PHARMACIE DE GRENOBLE. p. 8.
  2. LUCIEN Raynaud 1902: Etude sur l’hygiène et la médecine au Maroc : suivie d’une notice sur la climatologie des principales villes de l’Empire, Alger. PP. 106 – 108.
  3. Mouliéras, Auguste 1899 : Le Maroc inconnu : étude géographique et sociologique. Exploration des DJEBALA. Deuxième partie Bibliothèque nationale de France. P. 96.
  4. GERARD Maurer 1968: Les paysans du haut Rif central. Société de géographie du Maroc. in RGM n 14.

    -BOUDOUAH M’hamed 1985 : La culture du kif et son impact économique et social dans le Rif central cas de Ketama. Thèse de doctorat de troisième cycle Toulouse. p. 7.

  5. LABROUSSE A et ROMERO L 2001: Rapport sur la situation du cannabis dans le Rif Marocain, Paris. Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies. P. 5.
  6. AFSAHI Kenza 2015 :Pas de culture de cannabis sans les femmes. Le cas de Rif au Maroc. Déviance et société. Editeur. Médecine et Hygiène. (Vol 39) p. 77.
  7. Jean Léon African 1896 : Description de l’Afrique : tierce partie du monde. Second Volume. IMPRIMZPIE ORIENTALE DE A. BURDIN, RUE GARNIER, 4. PP. 205-358-359.
  8. MOUNA Khalid 2018: “approche anthropologique et socio-économique du Xe siècle à nos jours” Publié avec le soutien du ministère de la culture. Afrique Orient, Casablanca. P. 42.
  9. BOUDOUAH M’hamed 1985: La culture du kif et son impact économique. Op cit. p. 7.
  10. GERARD Maurer 1968: Les paysans du haut Rif central. Op cit. P. 55.
  11. LAZARIV Grigori 2012: Les politiques agraires au Maroc 1956-2006. Economie critique. P. 27.
  12. GERARD Maurer 1968: Les paysans du haut Rif central” op cit. p. 55.
  13. BOUDOUAH M’hamed 1985: La culture du kif et son impact. Op cit. p. 214.
  14. AFSAHI Kenza 2015: op cit. P. 78.
  15. LABROUSSE A et ROMERO L 2001: Rapport sur la situation du cannabis dans le Rif Marocain, op cit. P. 3.
  16. PASQUAL Moreno Torregrosa (1997): « Estudio del cultivo del cannabis sativa en el Rif marroqui: sus consecuencias socioeconómicas para la región »Teses doctoral, Universidad politécnica de Valencia. P. 144.
  17. Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies 2001 : Rapport sur la situation du cannabis dans le Rif Marocain. P. 3.
  18. Office des Nations unies contre la drogue et le crime 2003: Enquête sur le cannabis au Maroc. PP. 5-15.
  19. PACZESNY Marine 2014: op cit. p.21.
  20. MERCIER Louis 1905: Une opinion marocaine sur le monopole du tabac et du kif. Archives marocaines. Volume 4. P. 152.
  21. Observatoire européen des drogues et des toxicomanies 2018: Usage médical du cannabis et des cannabinoïdes. Questions et réponses à l’intention des décideurs politiques. P. 5.
  22. Dahir n° 1-21-59 du 3 hija 1442 (14 juillet 2021) portant promulgation de la loi n° 13-21 relative aux usages licites du cannabis.